22 septembre 2008
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Que reproche-t-il à ces écrivains ? Tout simplement d’être des hérétiques. Déjà, à l’époque, le mot sonne mal et sent son odeur d’inquisition. Pourtant, Chesterton n’hésite pas. Il utilise le terme, et dans une raison très précise : au nom de la défense de l’orthodoxie.
Le premier chapitre de cet essai majeur dans l’itinéraire de l’écrivain annonce, en effet, Orthodoxie. Il s’intitule : « Introductory Remarks on the Importance of Orthodoxy ». La mesure de l’hérésie sera clairement cette orthodoxie qui forme, en fait, le véritable sujet du livre. On a fini par l’oublier, du moins en France, d’abord à cause de Chesterton lui-même, de son style et du plan de son livre. Mais on a aussi fini par l’oublier parce qu’Orthodoxie, venant après Hérétiques, semble à lui tout seul développer ce thème. Or, ce n’est pas le cas. Dans l’un et l’autre cas, ce qui est en jeu, c’est bien l’orthodoxie – c’est-à-dire le fait positif, la vérité – et non d’abord l’hérésie. Chesterton utilise en quelque sorte une méthode pédagogique en frappant les esprits par l’accusation d’hérésie lancée envers certains écrivains et penseurs de renom. Il ne sera obligé de s’expliquer plus profondément et de se justifier en quelque sorte qu’une fois Hérétiques paru, alors qu’on lui demandera des comptes sur son propre système de pensée.
En 1905, les choses n’en sont pas encore là. Il semble à Chesterton que son illustration de l’orthodoxie par l’attaque des hérétiques sera suffisante. On remarquera d’ailleurs que le dernier chapitre du livre répond directement au premier, pour enfoncer le clou : « Concluding Remarks on the Importance of Orthodoxy ».
Mais, au fait, qu’est-ce qu’être un hérétiques pour Chesterton ? Il l’explique, notamment, dans ce passage consacré à son ami Bernard Shaw :
« Je ne m’intéresse pas à M. Bernard Shaw comme à l’un des hommes les plus brillants et les plus honnêtes qui soient, je m’intéresse à lui comme à un hérétique dont la philosophie est parfaitement solide, parfaitement cohérente, et parfaitement fausse. J’en reviens aux méthodes doctrinales du XIIIe siècle, dans l’espoir d’aboutir à quelque chose ».
Passons sur le fait que G.B. Shaw est clairement présenté comme un hérétique. Le plus surprenant dans ce passage se trouve dans l'affirmation de la nécessité de revenir à la philosophie et à la théologie du moyen âge. En pleine période scientiste, alors que l’on croit au salut de l’humanité par les découvertes scientifiques, Chesterton s’offre le luxe – y a-t-il d’autres mots ? – d’indiquer que la solution se trouve finalement dans la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin ou dans les écrits de saint Bernard. Il faut repartir en quelque sorte de cette époque afin de parvenir à des résultats plus bénéfiques pour l’humanité que ceux qui découlent de la rupture de la Renaissance. Il approfondira d’ailleurs ce thème, en 1933, dans son Saint Thomas d’Aquin, lorsqu’il écrira :
« Nul ne comprendra la magnificence du treizième siècle s’il n’y voit une floraison de nouveautés issues d’une chose vivante : ce par quoi il surplombe de haut ce que nous appelons la Renaissance qui ne fut qu’une résurrection de choses mortes issues d’une tradition morte. Le treizième siècle est une Naissance et non une Renaissance, qui ne copie pas ses temples, sur des tombeaux et ne réveille pas les dieux endormis dans l’Hadès. Cette Naissance crée une architecture aussi neuve que nos constructions modernes ; en fait, elle demeure la seule architecture moderne. Elle fut suivie, lors de la Renaissance, par une architecture antique. En ce sens, la Renaissance mérite le nom de Rechute. Quoi que l’on pense de la haute nef dressée par le thomisme, elle n’était pas une rechute. Elle était l’équivalent du prodigieux travail qui a dressé les flèches inimitables. Le fondement de l’une et de l’autre était ce Dieu qui a renouvelé la face de la terre. »
(à suivre…)