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22 décembre 2008 1 22 /12 /décembre /2008 12:02
Dans les polémiques qui jaillissent avant la parution d'Orthodoxy, Chesterton n’épargne ni Wells ni Shaw. Plus exactement, il discute leurs théories sociales. À l’origine, la discussion prend son départ dans les colonnes de The New Age, le journal d’A.R. Orage (photo). En 1907, le romancier Arnold Bennett publie un article intitulé « Pourquoi je suis socialiste ». Orage invite Hilaire Belloc et G.K. Chesterton à répondre à cet article. Belloc ouvre le feu le 7 décembre 1907 avec « Réflexions sur la pensée moderne ». Chesterton suit en écrivant « Pourquoi je ne suis pas socialiste ». C’est alors que H.G. Wells entre dans la bataille en publiant à son tour un article « Au sujet de Chesterton et de Belloc ». Chesterton rétorque avec un article dont le titre est en forme de jeu de mots « Sur Wells (littéralement le puit) et le verre de bière ». Plus énigmatique, le titre de l’article suivant, signé Belloc, est « Ce n’est pas une réponse ». George Bernard Shaw entre alors dans la danse avec un article fameux, sobrement intitulé, « Belloc et Chesterton », utilisant pour la première fois semble-t-il, le terme de « Chesterbelloc ». Puis Chesterton reprend la main avec « Les derniers rationalistes ». Belloc revient aussi, avec un article intitulé « Une question » qui lui vaudra « Une réponse » signé Wells.
Cette controverse est connue comme étant « The Chesterton-Belloc-Wells-Shaw controversy ». C’est aussi grâce à cette polémique que Belloc et Chesterton préciseront leurs idées « distributistes ». En novembre 1908, elle fait place à une autre controverse : « The Chesterton-Bax-Shaw Controversy ». Ernest Belfort Bax était un militant socialiste.

Dans Orthodoxie, Chesterton s’en prend plusieurs fois à George Bernard Shaw (photo) et à H.G. Wells. Concernant Shaw, par exemple, il souligne dès le premier chapitre (l’introduction) que :
« S’il est vrai (comme on l’a dit) que M. Bernard Shaw vit de paradoxes, il doit être millionnaire car un homme de son activité mentale pourrait inventer un sophisme toutes les six minutes. Cela est aussi facile que de mentir puisque c’est mentir. La vérité est que M. Bernard Shaw est cruellement embarrassé par ce fait qu’il ne peut dire un mensonge sans croire que ce mensonge est la vérité. »
Dans le troisième chapitre (« Le suicide de la pensée »), Chesterton livre un lapidaire portrait de Shaw :
« Si j’avais, par exemple, à dépeindre clairement le caractère de M. Bernard Shaw, je ne pourrais m’exprimer avec plus d’exactitude qu’en disant qu’il possède un cœur d’une grandeur et d’une générosité héroïques mais que ce cœur n’est pas à la bonne place. Et il en est ainsi de la société qui représente le mieux notre époque ».
Toujours dans le même chapitre, Chesterton s’en prend à ce qu’il estime être la philosophie de Shaw : le culte de la volonté.
« Il dit qu’un homme n’agit pas pour son bonheur mais pour exercer son vouloir. Il ne dit pas : “Je serai heureux d’avoir de la confiture” mais : “Je veux de la confiture”. (…) M. Bernard Shaw n’a pas aperçu la réelle différence entre l’ancien criterium utilitaire du plaisir (assez grossier d’ailleurs, et que l’on dénature facilement) et ce qu’il prétend établir. Ce qui différencie en réalité le criterium du bonheur et celui du vouloir est simplement que le premier est bien un criterium et que le second n’en est pas un. »
Dans la conclusion de ce chapitre, Chesterton range Shaw en compagnie de Schopenhauer ou de Nietzsche, compagnie qui va droit, selon lui, à la folie.
« Je clos ici (grâce à Dieu) ce qui dans ce livre est la chose la plus importante et la plus ennuyeuse : cette revue sommaire de la pensée moderne. Il me faut ensuite esquisser cette vue de la vie qui m’est personnelle, esquisse qui peut ne pas intéresser mon lecteur mais qui en tout cas m’intéresse. Devant moi, au moment où je finis cette page, se dresse une pile de livres modernes que j’ai feuilletés dans ce but, une pile d’ingénuités, une pile de futilités. Grâce à cet accident même qu’est pour moi mon présent détachement, je puis voir l’écrasement inévitable des philosophies de Schopenhauer et de Tolstoï, de Nietzsche et de Shaw, aussi clairement que l’on peut d’un ballon voir l’écrasement inévitable d’un train. Ils sont tous en route vers le vide de l’asile. Car la folie peut se définir l’activité mentale s’exerçant à atteindre la détresse mentale, et celle-ci ils l’ont presque atteinte. Celui qui se croit en verre croit à la destruction de la pensée car le verre ne peut penser. De même celui qui ne veut rien rejeter, veut la destruction du vouloir car vouloir c’est non seulement choisir quelque chose mais encore rejeter presque tout. »
Chesterton évoque encore Shaw dans le chapitre VII (L’éternelle révolution) en expliquant que les pensées modernes et révolutionnaires de Marx, Nietzsche, Tolstoï, Cunninghame Grahame, Auberon Herbert et Shaw seront les supports du conservatisme. Dans le chapitre suivant (Le roman de l’orthodoxie) il tente de mettre en contradiction Shaw avec sa propre philosophie à propos des miracles.
« M. Bernard Shaw parle avec un mépris cordial et suranné de l’idée des miracles, comme s’ils étaient uen sorte de trahison de la part de la nature : il semble étrangement inconscient que les miracles ne sont que les fleurs finales de son arbre favori, la doctrine de la toute-puissance du vouloir. De même il appelle le désir de l’immortalité un égoïsme mesquin, oubliant qu’il a déclaré le désir de vivre un égoïsme sain et héroïque. Comment peut-il être noble de désirer faire sa vie infinie et cependant vil de désirer la faire immortelle ? »
Au total, on trouve 11 occurrences concernant Shaw dans Orthodoxie.

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