Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
27 mai 2009 3 27 /05 /mai /2009 00:57



Le mardi 30 août 1910, le quotidien catholique français La Croix évoque (cf. reproduction de la première page ci-dessus), semble-t-il pour la deuxième fois (si nos recherches se confirment) le nom de Gilbert Keith Chesterton (orthographié Gilbert-Keith). Il ne s’agit pas réellement d’un article de la rédaction ni même de l’une grandes signatures qui publient habituellement dans le quotidien. Le nom de Chesterton apparaît dans la rubrique « Ce que disent les journaux », sorte de revue de presse. Celle-ci reproduit un article paru dans L’Écho de Paris, quotidien littéraire et politique conservateur. Cet article, dont la date de parution n’est pas indiquée, est signé « Junius ». Il s’agit bien évidemment d’un pseudonyme qui cache l’écrivain Paul Bourget, élu à l’Académie française le 31 mai 1894.

Ce Billet de Junius rapporte la publication d’un article paru dans une revue alors nouvelle et jeune, la Nouvelle Revue Française, la fameuse N.R.F, qui a proposé une traduction d’un texte de Gilbert Keith Chesterton, Les Paradoxes du christianisme. Il s’agit en fait du chapitre VI – un chapitre central – d’Orthodoxie, qui n’est pas encore traduit intégralement en français puisqu’il faudra attendre pour cela… 1920, avec une traduction réalisée par Charles Grolleau.

Ce qu’ignore, semble-t-il Junius/Bourget, c’est que la traduction publiée par la N.R.F. a été réalisé par Paul Claudel. On peut notamment trouver cette traduction dans Supplément aux œuvres complètes de Paul Claudel, tome deuxième (page 26 à 42) publié dans la Collection du Centre Jacques-Petit aux Éditions de l’Age d’Homme (1991). André Gide avait demandé à Valery Larbaud de présenter Chesterton aux lecteurs de la Nouvelle Revue Française et ce dernier avait écrit une notice de présentation. Nous en reparlerons très prochainement. En attendant, voici, tel qu’il fut rapporté par La Croix du mardi 30 août 1910, le Billet de Junius paru dans L’Écho de Paris.

 

 

 

 

(Ci-dessus reproduction de la page 4 de l'édition du mardi 30 août 1910 du quotidien La Croix. On aperçoit le titre de la rubrique : « Ce que disent les journaux » qui reproduit le Billet de Junius consacré à Chesterton et paru dans L'Écho de Paris)

 

L’attirance de l'Eglise

Une jeune revue, la Nouvelle Revue Française, publie, dans son numéro du 1er août un article qui dépasse, par le sujet et par la forme, l'ordinaire composition littéraire. C'est la traduction – remarquable et faite de main d'artiste – d'un chapitre d'un philosophe anglais, Gilbert-Keith Chesterton. Je dis philosophe, parce que la pensée est ici d'ordre philosophique, la logique serrée, la composition rigoureuse, malgré la fantaisie. Mais l'ardeur du style, la fréquence et souvent la beauté de l'image permettraient d'appeler lyrique ce morceau intitulé les Paradoxes du christianisme.

M. Chesterton, qui est un écrivain célèbre, et que nous appellerions « un jeune maître » –  40 ans à peu près –  fut élevé dans l'incroyance, Selon les probabilités, il devait commencer par couler à fond. C’est ce qui eut lieu. « J'étais un païen à 12 ans, dit-il, et un agnostique complet à là. 16 ». Mais bientôt la libre pensée l'inquiéta. Il s'aperçut que le christianisme, attaqué de tous côté avec une rage extrême, l'était pour des raisons contradictoires. « Un rationaliste n'avait pas plutôt démontré qu'il était trop à l'Est qu'un autre démontré avec une clarté égale, qu'il était trop à l’ouest. ». Pour plusieurs de ses ennemis, le christianisme est opposé à la joie ; pour d'autres, par son dogme de la providence, « il loge l’humanité dans une chambre de bébé, blanche et rose ». Pour plusieurs de ses ennemis, il donne trop de conseils de douceur ; pour d'autres, il est une cause de guerre perpétuelle. Pour, plusieurs de ses ennemis, il prêche une doctrine trop austère et d'autres lui reprochent le luxe ses autels, ses ornements d'or et d'argent. Les exemples pourraient être multipliés, presque à l’infini. Si toutes ces accusations étaient fondées, se demande Chesterton, quel singulier monstre serait le christianisme, en qui se réuniraient tous les contraires ?

C'est une explication peu satisfaisante, il est vrai. Mais il y en a une autre et qui apparaît au philosophe dans une clarté grandissante « Peut-être après tout est-ce le christianisme qui est sain et ses critiques qui extravaguent en divers sens. » Il faut voir comment il développe cette idée ; avec quel humour, quelle souplesse, quelle justesse il montre, dans l'Eglise catholique, le point d'équilibre entre des forces dont aucune n'est sacrifiée, entre la famille féconde et la virginité, entre la sévérité et la mansuétude, entre la richesse et la pauvreté, et comment il la magnifie pour n'avoir jamais cédé à la mode du jour, à la mode qui est le piège renaissant et mortel.

Je signale ces pages, parce qu'elles sont, après bien d'autres, un signe de notre temps, La guerre faite su âprement à l'Eglise, et, partant, de passions et d'intérêts ameutés, lui vaut sans doute des trahisons, des abandons, notamment parmi les illettrés et les superficielles, mais elle éveille des adhésions retentissantes, des ripostes imprévues, des ardeurs jeunes eu toutes nations. Elle ressuscitera bien d'autres énergies. Ce que nous entendons, -ce n'est encore que la diane matinale dans les camps endormis. Ecoutez ces phrases et vous comprendrez pourquoi au début de ce billet, j'ai parlé de ka beauté de l'œuvre et de la maîtrise du traducteur « L'Église des premiers jours allait à l’allure furibonde d'un cheval de guerre, et pourtant ce serait une insulte à l'histoire de dire qu’elle se soit jamais emballée sur une seule idée, comme un vulgaire fanatisme. Elle obliquait à droite ou gauche, toujours à temps pour éviter d'énormes obstacles. Il aurait été facile d'accepter des ariens la puissance terrestre. Il aurait été facile, dans ce XVIIe siècle calviniste, de tomber dans le puissant fond de la prédestination. II est facile d'être un fou ; il est facile d'être un hérétique ; il est facile d'être un moderniste ; il est facile d'être un snob. Il est facile de laisser le siècle faire à sa tête ; il est difficile de garder la sienne… Il aurait été trivial et commode de tomber dans l'une quelconque de ces modes du jour, depuis le gnosticisme jusqu'à la « science chrétienne ». Mais, de les avoir évitées toutes, là est l'étourdissante aventure Et, dans ma vision, le char céleste vole en foudre à travers les âges, les stupides hérésies épandues et vautrées à terre, la folle vérité chancelante, mais debout ! »

 

 

[Retrouver ces documents et les retranscrire demande beaucoup de travail. Merci de votre accueil et de votre indulgence devant les erreurs éventuelles qui pourraient s'y trouver.]

 

Partager cet article

Repost0

commentaires