Le volume 36 des Collected Works of Chesterton vient de paraître chez Ignatius Press. Il est consacré aux articles de Chesterton publiés dans The Illustrated London News pendant les années 1932-1934.
Il regroupe au total cent-cinquante sept articles, allant du 2 janvier 1932 jusqu’au 29 décembre 1934. À son habitude, Chesterton aborde aussi bien l’actualité politique (notamment la montée du nazisme) que des questions de littérature ou propose des réflexions sur les travers de l’époque. Pour bien saisir la variété des thèmes abordés, le mieux est certainement de reproduire la riche table des matières :
Le parcours de l’index des noms en fin de volume démontre s’il en était besoin l’extraordinaire culture de cet homme, capable aussi bien de faire référence à des écrivains de son pays qu’à des auteurs ou des journalistes français, (Chateaubriand, Alphonse Bertillon, Bossuet, Hugo par exemple) ou à des hommes politiques, des militaires ou des philosophes. En voici juste deux aperçus :
D’un article à l’autre, Chesterton semble se promener aussi à l’aise dans l’histoire que dans son époque, devisant aussi tranquillement avec saint Thomas d’Aquin qu’avec Ghandi. Il est évidemment impossible de donner ne serait-ce qu’un bref aperçu de l’ensemble des articles rassemblés dans ce volume. En revanche, on peut prendre le parti de lire certains articles réunis par un même thème.
Historiquement, il est ainsi intéressant de plonger dans les articles consacrés à Hitler, au moment même où son mouvement émerge en Allemagne et où il va accéder au pouvoir. Loin de la caricature faisant de Chesterton un fourrier du nazisme, vision ultra-simpliste affectée par certains milieux, on le voit dénoncer la folie nazie en faisant ressortir les contradictions de ce nationalisme qui ne trouve, par exemple, d’autres insignes qu’un symbole bouddhiste. Il voit très clairement dans le nazisme un paganisme qui vise à détroner le christianisme pour le remplacer par la force de Thor ou d'Odin. Et il réaffirme qu’il n’est pas antisémite contrairement à « Herr Hitler ». Sa critique du nazisme allemand se situe dans la droite ligne des positions qu'il avait adoptées pendant la Première Guerre mondiale en dénonçant la « Barbarie de Berlin » (et ICI et LÀ). Elle est amplifiée ici parce qu'à ses yeux le nazisme ne reprend pas seulement les vieux démons allemands, mais y associe une philosophie orientale que symbolise selon lui la swastika. Cette croix gammée, qui tourne sur elle-même, dans un mouvement circulaire, rappelle ce que Chesterton écrivait dès 1908 dans Orthodoxie :
« De même que nous avons choisi le cercle pour symboliser la raison et la folie, de même nous pouvons choisir la croix pour symboliser simultanément le mystère et la santé. Le bouddhisme est centripète, le christianisme est centrifuge : il éclate. Car le cercle est parfait et infini de par sa nature ; cependant il est à jamais limité par sa dimension ; il ne peut être ni plus grand ni plus petit. La croix présente en son centre une collision et une contradiction, mais elle peut étendre à l’infini ses quatre bras sans que jamais sa forme s’en trouve altérée. C’est parce qu’elle présente cette contradiction en son centre qu’elle peut grandir sans changer de caractère. Le cercle se referme sur lui-même. Il est limité. La croix ouvre ses bras aux quatre vents, signal de route aux voyageurs libres. ».
Malgré ses succès, le nazisme contient cette part de folie qui se referme sur elle-même comme le pressent Chesterton sans imaginer que cette folie ira jusqu'aux camps de concentration. À l'égard des Juifs, il convient de rappeler sa position paradoxale que l'on retrouve dans plusieurs articles contenus dans ce nouveau volume. Si, comme nombre de ses contemporains, il identifie la présence de certains Juifs dans le monde des affaires et de la politique à une présence globale du judaïsme dans la société anglaise, il défend, en revanche, la position sioniste qui sera adoptée après guerre avec la création de l'État d'Israël et qu'il a déjà exprimé dans La Nouvelle Jérusalem (et ICI et LÀ).
Avec plus de 600 pages, le volume 36 des des Collected Works of Chesterton se révèle à la fois comme volume très riche, composé uniquement d’inédits pour le public français, mais aussi comme une source documentaire pour saisir la position chestertonienne face aux événements d'une période particulièrement troublée.
L'éditeur propose ce volume 36 en trois versions :
– Une version cartonnée;
– Une version reliée;
– Une version électronique pour prc – kindle epub - nook, ipad.