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17 mars 2010 3 17 /03 /mars /2010 17:51

 

Vous trouverez ci-dessous un extrait du premier chapitre d’Utopie des usuriers. Avec son style inimitable, Chesterton s’attaque au monde de la publicité qu’il démasque avec talent. Le livre, rappellons-le, a paru en 1917, mais il reprend des articles publiés en 1914… À l’époque, il n’y avait pas les moyens informatiques ni les puissants logiciels qui permettent de trafiquer une photo. Mais le ver était déjà dans le fruit… Chesterton a tiré le ver pour sauver le fruit et pour l’exposer à nos yeux afin que nous sachions nous aussi éviter  son pourrissement.

Utopie des usuriers, suivi de 18 autres essais dans la même veine, vient d’être publié aux éditions de l’Homme Nouveau. Il est disponible auprès de l’éditeur pour la somme de 19€, soit en commandant par téléphone (01 53 68 99 77), soit en écrivant (Éditions de l'Homme Nouveau, 10 rue Rosenwald 75015 Paris), soit en utilisant son site sécurisé de paiement en ligne : ICI.


 

Extrait d'Utopie des usuriers

 

 

« Je me propose aujourd’hui de consacrer deux ou trois essais à l’art de la prophétie, tout en espérant, chemin faisant, ne pas lasser la patience de mon lecteur. Comme tous les prophètes sains d’esprit, sacrés et profanes, je ne puis prophétiser que lorsque je suis en colère et que le monde autour de moi me semble courir à la catastrophe. Et comme tous les prophètes sains d’esprit, je prophétise dans l’espoir de me tromper. Car les prédictions d’un authentique devin ressemblent aux admonestations d’un bon médecin qui n’est satisfait que lorsque son malade, qu’il voyait mourant, a recouvré la santé. La prédiction se trouve justifiée au moment même où elle est démentie. (…)

Je vais maintenant examiner l’un après l’autre certains aspects de la vie moderne et décrire ce qu’ils deviendront dans ce paradis de la ploutocratie, cette utopie de bronze et d’or dans laquelle la glorieuse histoire de l’Angleterre risque bien de se terminer. J’ai l’intention de dire tout crûment ce que je pense que nos nouveaux maîtres, les simples millionnaires, feront de certaines disciplines et institutions humaines, telles que l’art, la science, la jurisprudence ou la religion, si nous ne frappons pas assez tôt pour les en empêcher. Et à titre d’exemple je prendrai celui des arts.

 

 

Image-1-copie-16.png

 



Nous avons tous dans les yeux cette image intitulée Bubbles (peinture de sir John Everett Millais dont l’original est représentée ci-dessus) qui sert à la publicité d’une célèbre marque de savon dont un petit morceau figure dans l’image publicitaire (représentation du détournement publicitaire ci-dessous). Or toute personne un tant soit peu douée pour le dessin (comme le caricaturiste du Daily Herald, par exemple)  devinera tout de suite que cette savonnette ne faisait pas originellement partie du dessin. Elle comprendra immédiatement que cette savonnette détruit l’unité du tableau en tant que telle, aussi sûrement que si la savonnette avait servi à effacer la peinture. Si petite qu’elle soit de dimension, elle trouble et rompt l’équilibre même des objets qui entrent dans la composition du tableau. Je ne me permets pas de juger ici de l’intervention de Millais en la matière ; j’ignore en fait ce qu’elle a bien pu être. Ce que je tiens à relever pour le moment est que le tableau n’a pas été peint pour la savonnette, mais que celle-ci lui a été ajoutée. Or ce qui, spirituellement parlant, nous sépare de l’époque victorienne, c’est que cette dernière, quels qu’aient pu être par ailleurs ses défauts, n’aurait jamais admis ce genre de patronage comme une chose allant de soi. Michel-Ange était peut-être fier d’avoir travaillé pour un empereur ou pour un pape, mais je présume qu’il était encore plus fier de les avoir eus en quelque sorte à son service. Je ne crois pas, en ce qui me concerne, que sir John Millais ait été particulièrement fier d’avoir travaillé pour un fabricant de savonnettes. Je ne dis pas qu’il se le reprochait comme une infamie, je dis simplement qu’il n’en était pas plus fier que ça. Et c’est précisément là ce qui distingue son époque de la nôtre.

(…) Mais l’amélioration de la qualité de la publicité coïncide paradoxalement à la dégradation de l’idée que l’artiste se fait de son art. Et ce pour une bonne et simple raison : c’est que désormais l’artiste travaillera non seulement pour plaire aux riches, mais aussi et surtout pour accroître leurs richesses ; ce qui, convenons-en, n’a rien de très louable. Après tout, c’était en tant que simple particulier qu’un pape de la Renaissance prenait plaisir à contempler un dessin de Raphaël ou à caresser une statuette sculptée par Cellini . Le prince payait la statuette sans s’attendre à ce que celle-ci lui rapporte en retour. J’ai idée qu’on aurait quelque peine à dénicher la moindre trace de savonnette dans les dessins que le pape commandait à Raphaël. Et pour qui connaît un tant soit peu le cynisme étriqué de notre ploutocratie, son goût du secret et des jeux de hasard, son absence de conscience, il est clair que l’artiste publicitaire apportera le plus souvent son concours et son talent à des entreprises sur lesquelles il n’aura aucun contrôle et auxquelles il sera bien en peine d’apporter son soutien moral. Il contribuera la plupart du temps à faire vendre des médicaments bidon et à favoriser des placements louches, et il aura pour mécènes non plus les Médicis mais les fabricants d’appareils de radio Marconi (cf. Notre étude sur le Scandale Marconi ICI, , , , et ).

 

 

 

 

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La peinture détournée par « Pears ». Le savon se trouve en bas à droite.

 

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