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3 juin 2008 2 03 /06 /juin /2008 20:17
Nous avons publié récemment un lien vers une des traductions françaises du Saint Thomas d'Aquin de Chesterton. Il faut signaler aussi qu'il en existe une autre, celle d'Antoine Barrois, paru aux éditions DMM en 1977. Cette traduction est toujours disponible, sous le titre de Saint Thomas du Créateur.
L'original en anglais a une histoire qui mérite que nous en disions quelques mots. Il est dédié  à Miss Dorothy E. Collins, la secrétaire de Chesterton. Ce n'est pas sans raison.
Elle a raconté que Chesterton a d'abord écrit d'un trait la première moitié de l'ouvrage. Plus exactement, selon son habitude, il l'a dictée à sa secrétaire. Puis il s'est arrêté et il a alors dit à Dorothy Collins :
– Je veux que vous alliez à Londres m'acheter des livres.
– Quels livres ?, a alors demandé la dévouée secrétaire.
– Je ne sais pas ! a répondu Chesterton.

De ce fait, il a écrit à Mgr O'Connor pour lui demander une liste des ouvrages les plus importants concernant saint Thomas d'Aquin. Une fois en sa possession, Chesterton a lu ces livres et a recommencé à dicter la fin de l'ouvrage.


Voici ce qu'en disait l'éminent historien de philosophie médiévale,
Étienne Gilson, de l'Académie française:

« Je le considère [Saint Thomas d'Aquin par Chesterton] comme étant,sans comparaison possible, le meilleur livre jamais écrit sur saint Thomas. Rien de moins que le génie peut rendre compte d'un tel accomplissement. Tout le monde admettra sans aucun doute qu'il s'agit d'un livre "brillant", mais peu de lecteurs qui ont passé vingt ou trente années à étudier saint Thomas d'Aquin, et qui ont, peut-être, eux-mêmes publié deux ou trois volumes en la matière, ne pourront manquer de percevoir que la soi-disant "vivacité" de Chesterton a humilié leur érudition. Il a deviné tout ce qu'ils avaient essayé de démontrer, et il a dit tout ce qu'ils avaient plus ou moins maladroitement essayé d'exprimer par des formules académiques. Chesterton fut un des penseurs les plus profonds qui aient jamais existé; il était profond parce qu'il avait raison; et il ne pouvait pas s'empêcher d'avoir raison; mais il ne pouvait non plus s'empêcher d'être modeste et charitable. Aussi laissait-il ceux qui pouvaient le comprendre reconnaître qu'il avait raison et qu'il était profond. Auprès des autres, il s'excusait d'avoir raison et compensait le fait d'être profond en étant spirituel. C'est tout ce qu'ils voient en lui. »

Gilson avait déjà dit son admiration pour
Greybeards at Play et Orthodoxy qu'il voyait comme le meilleur livre d'apologétique du siècle. Après avoir lu le Saint Thomas de Chesterton, il avait également déclaré : « Chesterton fait mon désespoir. J'ai étudié saint Thomas toute ma vie et je n'aurais jamais pu écrire un tel livre ».

Sur Étienne Gilson, voir la notice de
l'Académie Française le concernant.

D'après Georges Allaire, auquel nous devons cette traduction d'un texte écrit en anglais, Étienne Gilson ne fut pas le seul "thomiste" à reconnaître les qualités du travail de Chesterton sur saint Thomas. D'après son fils Thomas De Koninck, ce fut aussi  le jugement du philosophe thomiste Charles De Koninck. de l'Université Laval à Québec, un philosophe profondément respecté outre-Atlantique pour les générations d'étudiants qu'il a formées. Pour mesurer, la place de ce philosophe méconnu en France, j'ai placé en fin d'article une notice à son sujet. Concernant le Saint Thomas de Chesterton, Georges Allaire croit savoir que Jacques Maritain l'avait aussi en estime. Il faut ajouter également que le père Gillet, maître-général des Dominicains, recommanda chaleureusement cet ouvrage à ses confrères.


Annexe :
Charles De Koninck, d'après une notice de la télévision québecoise :
Charles De Koninck (Thourout, 1906 - Rome, 1965), lui-même fils d'un entrepreneur en construction flammand, était un grand philosophe aristotélicien, thomiste, qui a travaillé sur la logique, la philosophie naturelle, les mathématiques, la métaphysique, la théologie, l'éthique et la philosophie politique. Arrivé à Québec en 1934, à l'invitation de l'université Laval qui voulait consolider sa faculté de philosophie, il s'avéra un personnage marquant. Pendant 31 ans, il enseigne la philosophie de la nature à Laval et de 1939 à 1956, assume la charge de doyen de la Faculté de philosophie et pour une brève période en 1965.

Internationalement reconnu, Charles De Koninck est professeur invité à l'Université nationale de Mexico en 1944 et à l'Université Notre-Dame de 1957 à 1964. Pendant 25 ans, il prononce d'innombrables conférences dans les deux Amériques et dans plusieurs pays d'Europe. Il est décédé subitement le 13 février 1965 à Rome où il participait à une sous-commission du Concile Vatican II. Sa disparition fut unanimement déplorée dans la presse québécoise. À cette occasion, un journaliste soulignait l'influence que Charles De Koninck avait exercée auprès de ses proches tout comme parmi ses adversaires, lesquels ne pouvaient nier, écrivait-il, qu'il avait "fortement contribué à élever le niveau des études philosophiques" au Québec.

"L'homme avait de la carrure, une étonnante érudition, une rare capacité de travail et le don, plus rare encore, de captiver un auditoire étudiant par ses exposés, même les plus abstraits." Ses prises de position dans le cadre des discussions autour de Vatican II avaient quelque peu ébranlé l'opinion québécoise dans ses convictions religieuses. Dans une société qui repensait son système scolaire, il s'était prononcé en faveur de l'école neutre. Selon lui, les parents agnostiques n'avaient pas simplement le droit, mais le devoir "de faire tout ce qu'ils peuvent [...] afin d'obtenir pour leurs enfants, aux frais de la société civile, l'institution d'une école non-confessionnelle". Ce devoir leur incombait s'ils pensaient que l'enseignement religieux était nuisible à l'idéal qu'ils concevaient pour leurs enfants et s'ils croyaient que, dans une école confessionnelle, ceux-ci "allaient être exposés à des influences contraires à leur bien". (cité dans L'Immigration des Belges au Québec, André Vermeirre, p. 99) Considéré comme un des bâtisseurs de l'Université Laval moderne, on baptisa de son nom un des plus importants pavillons du campus de l'Université Laval. L'important fond d'archives Charles-De-Koninck se trouve au Centre Jacques-Maritain à l'Université Notre-Dame d'Indiana et comprend une importante correspondance philosophique.


Pavillon Charles-De-Koninck, Université Laval

Dynastie universitaire

D'ailleurs, la renommée de Charles De Koninck faisait de sa grande maison du Vieux-Québec, au 25 de la rue Sainte-Geneviève, (classé depuis monument historique) un lieu de fréquentation des personnalités des mondes universitaire, scientifique, intellectuel et politique.

L'écrivain Antoine de Saint-Exupéry visita les De Koninck en 1942. Son fils, Thomas De Konick était alors âgé de huit ans. "À l'invitation de Charles de Koninck, Saint-Exupéry était venu prononcer une conférence à Québec. Thomas De Koninck a conservé les bribes de quelques moments vécus avec Saint-Exupéry: "Un grand gaillard. C'était l'aviateur. Un bonhomme attachant, qui s'intéressait à nous, les enfants. Il nous faisait des avions en papier, des dessins. […] Il aimait les énigmes mathématiques." L'année suivante, Saint-Exupéry publiait Le Petit Prince. Et selon la légende locale, il se serait inspiré du petit De Koninck, qui avait les cheveux blonds bouclés et posait beaucoup de questions. M. De Koninck refuse cependant cette interprétation: "Le Petit Prince, c'est Saint-Exupéry lui-même". Sur ce point, la plupart des ouvrages savants s'entendent. Pour Thomas De Koninck cette rencontre est un agréable souvenir d'enfance, 'nimbé' par les printemps qui l'en séparent." (Impact Campus, 26 septembre 2000).


 

Soulignons pour les lecteurs français que Charles De Koninck fut l'inspirateur de ceux qui fondèrent en 1969 l'Institut libre de philosophie comparée (IPC). André Clément, qui en fut le premier doyen, fut, en effet, un élève de Charles De Koninck. Site de l'IPC.




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