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18 décembre 2008 4 18 /12 /décembre /2008 09:52
Le dernier numéro du magazine Monde et Vie (n°804, 13 décembre 2008) consacre une page entière à Chesterton, en s’attachant principalement au « Chesterton catholique social anglais ». Sur ce sujet, j’ai tenté de répondre aux questions pertinentes de Monde et Vie, dans un espace forcément limité. Il aurait fallu, en effet, pouvoir développer davantage ce qu’est le distributisme de Chesterton, les points communs et les différences avec les catholiques sociaux français ou la pertinence de cette vision face aux problèmes contemporains.
Voici un extrait de cet entretien :
« M & V: « Pour sauver la famille, il nous faut
révolutionner la nation », écrit Chesterton.
Par de nombreux côtés, cet écrivain catholique,
qui reproche au socialisme, non pas
« de vouloir révolutionner notre vie commerciale
», mais « de vouloir la conserver si horriblement
pareille », est en effet un révolutionnaire,
par exemple lorsqu’il prône le
« distributisme ». Qu’entend-il par là?
P.M.:Avant d’être une théorie économique, le
distributisme est une vision du monde qui refuse
de réduire l'homme à son aspect économique
tel qu’il découle de la révolution anthropologique
des Lumières. Il s'affirme : en premier
lieu, pour la liberté de l’homme et de sa famille,
pour qu’il soit maître de son destin : qu’il soit
concrètement propriétaire de sa maison et des
moyens de production ; deuxièmement, pour
un monde fondé sur l'acceptation des limites et
qui de ce fait respecte les petites nations et s’organise
donc de façon décentralisée. Plus de
société et moins d’État ; enfin pour des économies
plus locales, s’appuyant sur l’artisanat et
l’agriculture, sur des groupements professionnels
autogérés et des mutuelles coopératives. »

Cette page de Monde et Vie contient également un article signé H.B., présentant L’Univers de Chesterton, avec beaucoup de sympathie. L’auteur présente très finement Chesterton :
« Vu de France, Gilbert Keith Chesterton
est un auteur à la fois exotique et familier,
autrement dit anglais. A mille lieues du
cartésianisme, son mode de raisonnement
confronte l’absurde au bon sens, en appelle
à la poésie, s’appuie sur la fantaisie et aboutit
à de fulgurantes vérités.« Le poète, écritil,
ne demande qu’à mettre sa tête dans les
cieux. C’est le logicien qui cherche à mettre
le ciel dans sa tête.Et c’est sa tête qui éclate.»
Ses romans et ses contes,
La Sphère et la
Croix, Supervivant, L’Auberge volante, Le Retour
de don Quichotte, Le Napoléon de Notting Hill,
Le Club des fous, Un nommé Jeudi… sont des
paraboles dont les personnages exaltés sont
en réalité des sages, et l’on comprend mieux,
à lire Chesterton, pourquoi la Sagesse de
Dieu est souvent folie aux yeux des hommes. »


L’année 2008, année du Centenaire d’Orthodoxie et du Nommé Jeudi, aura bien été l’année Chesterton. La page de Monde et Vie le montre à sa manière, en s’intéressant à un aspect peu connu en France de Chesterton : sa pensée sociale et économique.
Monde et Vie est vendu en kiosque. Le magazine est disponible également aux coordonnées suivantes :

14, rue Edmond Valentin 75007 Paris – www.monde-vie.com
Tél. : 01 47 05 10 42 – Courriel : mondevie@monde-vie.com


Petit rappel : Pour les Parisiens ou pour les provinciaux de passage à Paris, ce samedi, je leur donne rendez-vous à la Librairie France Livres 6 rue du Petit Pont, 75005, pour dédicacer L'Univers de Chesterton, à partir de 15h00. Pour plus de renseignements : ICI.
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17 décembre 2008 3 17 /12 /décembre /2008 11:38
Au-delà de la reprise d’idées qui lui tiennent à cœur, Chesterton va nourrir également sa réflexion au rythme de l’actualité journalistique et de la polémique qui se fait jour à cette époque. Il lit beaucoup, notamment pour T.P.’s Weekly qui lui réclame une sorte de liste de livres à lire pour 1908. Dans son article qui paraît pour le numéro de Noël 1907 (A scheme for Reading for 1908), Chesterton propose notamment l’Apologia pro vita de Newman, Les Confessions de saint Augustin et la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin.
Mais, quelques années auparavant, la polémique a également nourri sa réflexion. Chesterton a notamment débattu avec Robert Blatchford, entre le 27 mars 1903 et le 23 décembre 1904. C’est un échange important également, car il permet au futur auteur d’Orthodoxie de préciser sa pensée. Rationaliste et socialiste, Blatchford était également rédacteur en chef du Clarion et auteur d’un manifeste, God and My Neighbour, sorte de Credo rationaliste.
Il propose en 1903 à tous ceux qui ne partagent pas sa vision de s’exprimer dans les colonnes de son journal. Dans son article du 27 mars 1903, Blatchford cite un article de Chesterton du 14 mars, The return of the Angels, paru dans le Daily News. C’est un superbe article de Chesterton dans lequel il énonce dès la première ligne qu’il vise à provoquer et à polémiquer. Tout son raisonnement est bâti sur le fait que la méthode moderne s’appuie sur la théorie de l’hypothèse. Si celle-ci est vérifiée, alors la probabilité d’une vérité se fait jour. Avec beaucoup d’amusement, Chesterton retourne la méthode moderne contre la modernité en montrant que la croyance en un monde spirituel a toujours existé et que cette permanence, si l’on suit la méthode moderne, tend à montrer qu’il s’agit bien d’une réalité. Les paysans croient aux fées conclue-t-il. « Le rationalisme est une maladie des villes, comme le problème de logement. Tout ceci, bien sûr, n’est que suggestif, mais c’est très suggestif. Le phénomène ne prouve pas la religion ; mais la religion explique le phénomène… (…). par le rejet du rationalisme, le monde devient soudainement raisonnable. »
En réaction à cet article, Blatchford pose donc quatre questions à GKC : 1°) Etes-vous chrétien ? 2°) Que signifie le christianisme ? 3°) Que croyez-vous ? 4°) Pourquoi croyez-vous ? Quatre questions importantes car elles vont obliger Chesterton à préciser les choses, même si le débat va vite se concentrer autour du déterminisme. Elles forment de toute façon comme l’armature de ce que sera Orthodoxie. Chesterton répondra dans le Daily News. On retrouvera surtout Robert Blatchford évoqué dans Orthodoxie (cinq fois au total), dès le chapitre III (Le suicide de la pensée) :
« M. Blatchford attaque le christianisme parce que M. Blatchford a la monomanie d’une seule vertu chrétienne, d’une charité purement mystique et presque irrationnelle. Il a une idée étrange : c’est qu’il rendra plus facile le pardon des péchés en disant qu’il n’y a point de péchés à pardonner. Non seulement M. Blatchford est un chrétien des premiers âges mais c’est le seul chrétien de cette époque qui aurait dû être mangé par les lions. Dans son cas, en effet, l’accusation païenne se justifie : sa pitié n’est pas autre chose que de l’anarchie. »
Chesterton dénonce également, en Robert Blatchford, la croyance, qu’il avoue avoir partagé aussi, de la ressemblance entre le christianisme et le bouddhisme. C’est au chapitre VIII (Le roman de l’Orthodoxie) :
Ces ressemblances sont « de deux sortes : des ressemblances qui ne signifient rien parce qu’elles sont communes à toute l’humanité et des ressemblances qui n’en sont pas du tout. (…) C’est ainsi qu’il donne comme un exemple des plus saillants que le Christ et Bouddha furent appelés par la voix divine venant du ciel, comme si l’on pouvait s’attendre à ce que cette voix sortit de la cave à charbon. » Dans le même chapitre, il s’en prend encore à Robert Blatchford à propos des conséquences de sa négation du péché originel :
« M. Blatchford s’est avancé, comme un ordinaire briseur de Bible, pour prouver qu’Adam était innocent du péché contre Dieu ; en manœuvrant ainsi, il admettait, seule issue de son raisonnement, que tous les tyrans, de Néron au roi Léopold furent innocents de tout péché contre l’humanité. »

Préalablement à Orthodoxie, la polémique avec Robert Blatchford avait déjà fait l’objet d’une publication, en 1904, dans une brochure collective, dirigé par George Haw. Le titre du livre ? The Religious Doubts of Democraty (et non simplement The Doubts of Democraty comme l’écrit Maisie Ward dans son livre sur Chesterton) Chesterton y participe à travers quatre articles. Le premier, « Christianity and Rationalism », est à la fois le titre de l’article de Chesterton et celui de la seconde partie (le livre en contient douze) dont il forme la seule participation. Son second article est « Why I believe in Christianity » qui forme le troisième article de la septième partie. Vient ensuite « Miracles and Modern Civilisation », second article de la dixième parties. Enfin, la dernière participation de Chesterton se trouve dans la douzième partie, « The Eternal Heroism of the slums ».
Les contributions de Chesterton préfigurent bien Orthodoxie. Comme le note Maisie Ward, il est certain que Chesterton adhère alors à la divinité du Christ. Dans sa première contribution, il affirme qu’il ne pourra pas montrer dans le détail toutes ses raisons d’adhérer au christianisme ; elles sont aussi nombreuses que celles qui font que Robert Blatchford n’est pas chrétien. Il utilise alors une forme paradoxale de raisonnement que l’on retrouvera dans Orthodoxie montrant la richesse du christianisme dans une adhésion à des vérités qui s’excluent en apparence. Dans le second article, Chesterton évoque des thèmes comme la déterminisme et le libre-arbitre, la nécessité du surnaturel alors que le troisième développe la question des miracles. Enfin dans le dernier, Chesterton attaque à nouveau le déterminisme, dans la mesure où selon Robert Blatchford les mauvais environnements produisaient forcément de mauvais hommes.
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15 décembre 2008 1 15 /12 /décembre /2008 00:33
Chesterton dédie Orthodoxie à sa mère, de manière lapidaire – « À ma mère » –, mais qui semble indiquer malgré tout l’importance de ce livre dans son propre itinéraire, en tous les cas son aspect personnel, comme nous l’avons déjà souligné.
Si Orthodoxie est la suite logique d’Hérétiques, la suite attendue et réclamée, le livre n’est pourtant pas le fruit d’une génération spontanée. Entre 1905, année de la publication d’Hérétiques et 1908, année de celle d’Orthodoxie, Chesterton va accumuler le matériau nécessaire à la rédaction de son ouvrage. En fait, il va lui-même approfondir certaines questions et préciser d’abord à lui-même l’état réel de sa pensée.
On trouve une première ébauche lointaine de certains passages d’Orthodoxie dans Homesick at Home (parfois nommé White Wynd), publié en 1896 et à nouveau dans The Coloured Lands, livre paru
en 1938, après la mort de Chesterton. Dans Homesick at Home Chesterton esquisse déjà l’idée selon laquelle l’habitude et la routine peuvent conduire à une perte du sens du réel. Homesick at Home est une fable qui illustre cette idée (White Wynd, le personnage principal, quitte femme et enfants qu’il a trop vus), mais celle-ci se retrouve dans Orthodoxie. Dans l’introduction à ce dernier livre, Chesterton écrit :
« J’ai souvent eu la fantaisie d’écrire un roman sur un yachtman anglais qui aurait fait une erreur légère en calculant sa route et découvrirait l’Angleterre, pensant que c’est une île nouvelle située dans les mers du sud. (…) Que pourrait-il y avoir de plus délicieux que d’éprouver en même temps toutes les terreurs fascinantes d’un lointain voyage combinées avec ce sentiment si humain de sécurité que l’on goûte en rentrant chez soi ? Que pourrait-il y avoir de meilleur que d’éprouver tout l’amusement de découvrir l’Afrique du Sud sans l’écœurante nécessité d’y débarquer ? Qu’y aurait de plus glorieux que de s’équiper pour découvrir la Nouvelle Galles du Sud et de comprendre en versant des larmes de joie que c’est en réalité la vieille Galles du Sud. C’est là du moins ce qui me semble le principal problème pour les philosophes et, d’une certaine, le principal problème de ce livre. Comment pouvons-nous nous arranger pour être à la fois étonnés par l’Univers et néanmoins nous y trouver chez nous ? Comment se peut-il que cette étrange cité cosmique avec ses citoyens à plusieurs jambes, avec ses lampes monstrueuses et anciennes, comment ce monde peut-il nous donner à la fois la fascination d’une ville inconnue et le confort et l’honneur d’être notre ville ? »

Le cadre est donné. Plus qu’une réutilisation d’un matériau qui a déjà servi, Chesterton dresse l’état psychologique de son livre. Etre à la fois surpris et en sûreté. Il le porte simplement au plan philosophique, ce qui n’est pas une petite audace. Il va plus loin. Au terme de sa propre évolution, il va montrer que le christianisme est la véritable réponse à cette double tension qui normalement s’exclut. 

« Je désire montrer que ma foi répond d’une façon particulière à ce double besoin spirituel, le besoin de ce mélange de familier et d’extraordinaire que la Chrétienté a justement nommé le roman. Car le mot “roman” possède quelque chose du mystère et de l’ancienne signification de Rome. »
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12 décembre 2008 5 12 /12 /décembre /2008 10:23
Il y a cent ans paraissait en Angleterre un petit livre, appelé à faire du bruit : Orthodoxy. Son auteur, G.K. Chesterton, jeune journaliste et écrivain, s’était déjà illustré en publiant trois ans auparavant un livre détonnant, au titre provocateur, Heretics. Orthodoxy prenait donc la suite de ce précédent livre, et continuait, en l’élargissant, le même sillon. À vrai dire, le titre même d’Orthodoxy n’avait rien de surprenant de la part d’un auteur qui avait déjà donné ce titre au premier et au dernier chapitre d’Heretics. Dans ce livre qui s’en prenait joyeusement aux maîtres du moment, en dénonçant sophismes et croyances superstitieuses dans les forces du progrès, Chesterton avait clairement annoncé la couleur en titrant son premier chapitre : « Remarque préliminaire sur l’importance de l’orthodoxie » pendant qu’il donnait pour titre au dernier chapitre conclusif, « Observations finales sur l’importance de l’orthodoxie ».
Comment allait-il commencer ce nouveau livre qui portait haut le titre d’Orthodoxy ? En intitulant le premier chapitre « Remarque préliminaire sur les dangers de l’hérésie » et en concluant par des « Observations finales sur les dangers de l’hérésie » ? La facétie chestertonienne n’alla pas jusque-là. C’était trop attendu ; trop évident. Il prit donc des chemins de traverse, des sentiers escarpés, des voies inexplorées, des parcours pour le moins inattendus.

Après une courte préface, Chesterton propose neuf chapitres qui, à la fois, révèlent l’aspect surprenant du livre et donne une idée du sujet abordé. Il existe pour le livre dans son intégralité deux traductions françaises. La première est de Charles Grolleau et elle date des années 20. Elle est accompagnée d’une préface du Père Joseph de Tonquédec, célèbre jésuite, passionné par Chesterton, auquel il consacrera un ouvrage. De couverture marron, cette édition paraît chez « L. Rouart et J. Watelin, éditeurs, 6 place Saint-Sulpice, Paris VIe ». Charles Grolleau propose comme traduction des titres de chapitre :

I– Introduction
II– Le fou
III– Le suicide de la pensée
IV– L’éthique du pays des fées
V– Le drapeau du monde
VI– Les paradoxes du christianisme
VII– L’éternelle révolution
VIII– Le romantisme de l’orthodoxie
IX– Autorité et aventure

Une autre traduction française paraît en 1984 aux éditions Gallimard, dans la collection Idées. Elle est l’œuvre d’Anne Joba, qui traduit un peu différemment certains chapitres. Ce qui donne pour la table des matières :

I– Introduction
II– Le dément
III– Le suicide de la pensée
IV– Ethiques au royaume des elfes
V– Le drapeau du monde
VI– Les paradoxes du christianisme
VII– La révolution éternelle
VIII– Le roman de l’orthodoxie
IX– L’autorité et l’aventurier

Le plus simple, certainement, est de donner le sommaire en langue anglaise :
I.    Introduction in Defence of Everything Else
II.   The Maniac
III.  The Suicide of Thought
IV.   The Ethics of Elfland
V.    The Flag of the World
VI.   The Paradoxes of Christianity
VII.  The Eternal Revolution
VIII. The Romance of Orthodoxy
IX.   Authority and the Adventurer


Comme il arrive souvent les traductions françaises ne reprennent pas la préface de l’auteur (c'est le cas aussi de certaines éditions anglaises). Celle d’Orthodoxy, dont nous livrerons bientôt aux abonnés à la Lettre d'information [Un conseil : abonnez-vous, c'est gratuit. Voir ci-contre] une traduction, est intéressante. De manière anecdotique d’abord, en ce qu’elle associe Hérétiques et le nouveau livre qui vient de paraître, en parlant de « compagnon ». De manière plus profonde, puisque Chesterton n’hésite pas à présenter ce livre comme un ouvrage très personnel, qui n’explique pas les raisons universelles de croire au christianisme, mais ses propres raisons à lui d’y croire. De ce fait, les premières lignes du premier chapitre (Introduction) sont beaucoup plus compréhensibles quand il écrit :
« La seule excuse que je puisse donner pour avoir écrit ce livre c’est qu’il répond à un défi. Un escrimeur médiocre s’honore en acceptant un duel. Quand, il y a quelque temps, j’ai publié une série d’articles hâtivement écrits mais sincères, sous le titres de « Hérétiques », plusieurs écrivains dont l’intelligence m’inspire un profond respect (je citerai en particulier M. G.S. Street) dirent que j’avais amplement raison d’inviter tout le monde à donner sa théorie de l’univers mais que j’avais soigneusement évité d’appuyer mes préceptes par l’exemple. “Je commencerai à me fatiguer de ma philosophie, a dit M. Street, quand M. Chesterton m’aura donné la sienne”. C’était là peut-être faire une imprudente suggestion à quelqu’un qui n’est que trop prêt à répondre par des livres à la provocation la plus légère. Mais, après tout, bien que M. Street soit l’inspirateur, le créateur de ce livre, il n’est pas nécessaire qu’il le lise. S’il le lit, il trouvera que j’ai essayé dans ces pages, d’une façon imprécise et toute personnelle, par un choix de peintures mentales plutôt que par une série de déductions, d’exposer la philosophie à laquelle je suis arrivé à croire. Je ne l’appellerai pas ma philosophie, car je ne l’ai pas faite. Dieu et l’humanité l’ont faite et elle m’a fait moi-même » (traduction Grolleau).

Le ton est donc donné. Mais ce qui est intéressant, c’est que dans sa courte préface, Chesterton se place sous l’autorité du grand cardinal Newman, non pas directement en matière d’argumentation, mais pour expliquer que, à l’instar de l’Apologia pro vita de Newman, il utilise abondamment dans Orthodoxie la première personne du singulier. La comparaison entre les deux ouvrages va d’ailleurs beaucoup plus loin. L’Apologia de Newman est une réponse à une provocation et à une attaque de Charles Kingsley. Orthodoxie est une réponse à une demande d’explication qui est, de manière policée, une attaque contre Chesterton. Orthodoxie apparaît donc bien comme l’Apologia de Chesterton. Dans un autre style, avec une autre histoire, une autre manière de présenter les choses. S’il fallait définir Orthodoxie, c’est bien d’une Histoire d’une âme qu’il faudrait parler, comme l’Apologia de Newman est son histoire d’une âme, forcément différente, très différente même, de celle de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Mais histoire d’une âme quand même.
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11 décembre 2008 4 11 /12 /décembre /2008 14:02
Dans le dernier numéro du Nouvel Observateur (11 décembre), Frédéric Vitoux consacre sa rubrique éditoriale « Coup de cœur » à Chesterton et plus exactement à L'Assassin modéré qui vient de paraître chez Gallimard. Ce n'est pas la première fois que Frédéric Vitoux écrit sur Chesterton et habituellement il écrit avec amitié et goût. C'est visiblement un auteur qu'il apprécie et qu'il souhaite faire connaître à ses lecteurs du Nouvel Observateur. On ne peut que s'en réjouir. Comment ne pas saluer, de notre côté, un journaliste qui commence son article par ces mots :

« L'image traditionnelle de Chesterton (1874-1936)? La mine renfrognée, les petits yeux cachés derrière leur lorgnon, le cou noyé sous la graisse. Vous ouvrez ensuite le moindre de ses livres. Vous lisez par exemple les deux récits inédits jusqu'à ce jour en français et que publie Le Promeneur sous le titre hyperboliquement chestertonien de « l'Assassin modéré ». Miracle! C'est un autre homme que vous devinez. »


La suite est également un régal que le lecteur pourra lire dans Le Nouvel Observateur ou à défaut ICI. Un régal, à un détail que l'on est bien obligé de signaler tant il est vrai qu'il vérifie qu'une erreur qui n'est pas démasquée acquiert peu à peu l'aspect de la vérité. Ici ou là, on répète que la traduction française de L'Assassin modéré est inédite. Frédéric Vitoux lui-même parle de deux récits inédits alors que l'un des deux seulement l'est réellement – et c'est L'Homme au renard. Il serait temps quand même de vérifier certaines informations. Après tout, un certain blogue existe aussi pour cela. Hélas, Frédéric Vitoux ne semble pas nous connaître.
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5 décembre 2008 5 05 /12 /décembre /2008 15:38
vers une recension de l'Intégrale du Father Brown. C'est ici.

Extrait :
Chesterton est avant tout un conteur chez qui plaisir du texte et intrigue policière vont de pairs, ce qui crée une sorte d’alchimie tout à fait implacable. Chaque nouvelle possède son cadre approprié où les descriptions, souvent bucoliques (à la frontière du romantisme parfois), informent de manière saisissante l’intrigue à venir en y prenant une part conséquente. L’écrivain a pour motivation première un attachement à ses personnages : Brown, le petit prêtre sarcastique et discret, et Flambeau, le détective sympathique, l’ex-criminel un peu naïf. Les deux acolytes participent, souvent de manière impromptue, à une enquête a priori difficile. Avec ou sans meurtre, la scène de crime (ou de non crime !), parait très complexe à explorer. Puis au fil des pages, l’aspect apparemment fantastique, incroyable, mystérieux ou inédit, devient beaucoup plus accessible, puis réaliste aux yeux de tous, et cela grâce aux observations minutieuses de Brown qui commence par rester en retrait pour mieux intervenir par la suite, écrasant les théories simplistes ou folkloriques des uns ou des autres. Ses déductions écartent toute idée saugrenue pour mieux faire surgir ce réel que certains ont la fâcheuse tendance d'annihiler ! Là est la force de ces nouvelles, laisser fantasmer le commun des mortels et sa soif de vengeance pour faire triompher une vérité beaucoup plus simple et brutale, montrant par-là même la cruauté de l’homme et de son époque. Chesterton use souvent d’un ton léger et ironique pour mieux laisser entrevoir la perversité et la noirceur de l’âme.




Sur le même site, une autre critique, celle de L'Oeil d'Apollon.
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28 novembre 2008 5 28 /11 /novembre /2008 18:14

Dans un article paru dans le dernier numéro de L'Indépendance (n°50, novembre 2008), Daniel Hamiche présente L'Univers de Chesterton, récemment paru chez Via Romana. En voici quelques extraits. En remerciant l'auteur de nous avoir autorisé à reproduire cette partie de son article.





« Tout à fait indépendamment de la religion, nous devons nous rendre compte que l’Europe possédait un centre et qu’il n’y a pas de raison pour que ce cas ne se reproduise pas. Et nous pouvons prévoir l’Europe tentant par des efforts pathétiques de se centraliser sans avoir de centre »
écrivait G.K. Chesterton en 1932, quatre ans avant sa mort, dans son essai sur Chaucer.

Est-ce prémonition ou simple déduction de bon sens que d’envisager – 75 ans à l’avance ! – une Europe tentant « de se centraliser sans avoir de centre » ? Il faut bien admettre que le résultat de ses « efforts pathétiques » est là, sous nos yeux avec cette Europe dont Pascal aurait pu dire que sa circonférence est partout et son centre nulle part, étant établi que la Commission n’est point le centre où l’Europe s’équilibre mais le trou noir où elle s’évanouit. Il y a, décidément, des lectures qui s’imposent d’urgence. Celle de G.K. Chesterton s’impose d’autant plus à nous, que si le nom de cet écrivain anglais est passablement connu, son œuvre est outrageusement oubliée. Il est loin le temps ou des Paul Claudel, des Valery Larbaud, des André Maurois, des Henri Massis – pour ne citer que quelques noms qui surnagent encore dans le Léthée de notre amnésie culturelle nationale – avaient pour Chesterton les yeux écarquillés et pétillants de joie du ravi de la Crèche ! Il faut bien l’admettre, la suffisance française contemporaine couvre trop maladroitement une insuffisante curiosité. Pour l’exciter et la satisfaire, Philippe Maxence nous a confectionné un « petit dictionnaire raisonné ». « Petit » me semble d’ailleurs une manière de litote assez britannique, pour un ouvrage qui compte plus de 450 entrées et quelque douze cents citations…

Philippe Maxence qui est assurément un des meilleurs connaisseurs français de l’œuvre foisonnante de Chesterton, et qui, en bon camarade, veut faire partager au plus grand nombre de nos compatriotes, non encore tombés au dernier degré de l’ilotisme, sa raisonnable passion pour l’auteur d’Hérétiques et d’Orthodoxie (…) nous livre là un trousseau de clés dont chacune ouvre une serrure de L’Univers de G.K. Chesterton, puisque tel est le titre de ce dictionnaire. À chacun ensuite de décider s’il veut ou non poursuivre l’exploration de l’univers de ce rare génie, en se plongeant dans ses ouvrages – au moins dans ceux qui sont traduits en notre langue. (…)

Daniel Hamiche

L'Indépendance, 288 bd Saint-Germain, 75007 Paris.

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27 novembre 2008 4 27 /11 /novembre /2008 00:37
Difficile pour un écrivain de donner des repères biographiques sans évoquer ses livres. C'est pourtant ce que nous tentons ci-dessous. On retrouvera une présentation des livres de Chesterton dans la catégorie "La malle des livres de G.K.C.", alimentée chaque semaine.


29 mai 1874 : Naissance à Londres de Gilbert Keith Chesterton

1er juillet 1874 : Baptême selon le rite anglican

1879 : Naissance de son frère Cecil Chesterton

1887-1892 : Études au collège Saint-Paul

1892 : Études de lettres à l'Université de Londres puis étude de la peinture à la Slade School of Arts

Été 1894 : Voyage en Italie

1895 : Premières critiques littéraires puis entre comme lecteur chez Redway, éditeur

1896 : Fin de son travail chez Redway. Chesterton entre chez un autre éditeur, Fisher Unwin. La même année, il fait connaissance de sa future épouse, Frances Blogg.

1899 : Chesterton écrit des articles pour The Speaker

1900 : Chesterton prend position contre la guerre en Afrique du Sud. Il écrit aussi dans The Bookman

1901 : Chesterton collabore au Daily News

28 juin 1901 : Mariage avec Frances Blogg, fille d'un diamantaire de Londres

1909 : Installation à Beaconsfield, dans la grande banlieue de Londres. Chesterton y reste jusqu'à la fin de sa vie.

1907 : Chesterton rencontre le père John O'Connor dont il s'inspirera pour le personnage du Father Brown

1912 : Rupture avec le Daily News pour rejoindre le Daily Herald

1913 : Chesterton souffre d'une congestion du larynx, mal diagnostiquée. Le surmenage fait aussi sentir ses effets.

1914 : Au début de la Première Guerre mondiale, Chesterton dénonce l'Allemagne, son influence luthérienne et prône la rupture avec le monde germanique et protestant. À la fin de l'automne, il tombe dans un état semi-comateux puis à la veille de Noël, dans un coma total.

1915 : À partir de Pâques, Chesterton émerge peu à peu de son état.

1916 : Chesterton signe une pétition en faveur de Sir Roger Casement, qui a aidé les Républicains irlandais

1918 : Chesterton prend la place de son frère Cecil, qui vient de mourrir,  comme rédacteur en chef de The New Witness

1921 : Chesterton dénonce les exactions anglais en Irlande. Voyage aux États-Unis

1922 : Conversion au catholicisme le 30 juillet 1922 en présence du père O'Connor et du père bénédictin Rice

1925 : The New Witness devient le G.K.'s Weekly

1927 : Voyage en Pologne

1929 : Voyage à Rome

1930 : Voyage aux États-Unis

1936 : Voyage en France et mort de Chesterton
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26 novembre 2008 3 26 /11 /novembre /2008 11:21
La Lettre d’information n°7 a été envoyée hier aux abonnés (abonnement gratuit, voir colonne de droite). Elle contient quelques informations, une nouvelle enquête que nous menons et surtout un extrait d’un texte inédit en français de Chesterton.
Si vous êtes abonnés, vous l’avez donc reçu.
Si vous ne l’êtes pas, n’hésitez pas à le faire. À ceux qui désirent ce texte inédit, nous leur proposons de s’abonner puis de nous faire la demande en envoyant un courrier électronique à amis.de.chesterton@free.fr

Concernant l'enquête, nous en reproduisons rapidement les termes ici :

« À vos crayons, ou plus exactement à vos claviers. Vous aimez Chesterton ou vous voulez le connaître davantage. Dîtes-nous pourquoi ? En un mot, plusieurs phrases ou plusieurs pages. Nous publierons les réponses sur le blogue, soit sous votre signature, soit en respectant votre anonymat si vous le souhaitez. Nous comptons sur vous. »
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22 novembre 2008 6 22 /11 /novembre /2008 18:20

Dans Le Montage, Vladimir Volkoff met en scène un journaliste qui interroge un dissident M. Kournossov, auteur d’un ouvrage dans lequel il préconise une troisième voie entre capitalisme et socialisme. Lors de l’entretien, le journaliste est amené à demander à Kournossov :

– Qui, d’après vous, sont les pharisiens ?
– C’est donc vrai ! L’Occident n’a pas encore pris conscience de ce qu’expliquent pourtant si clairement des hommes comme Knupfer et Chesterton !
– Qu’est-ce qu’ils expliquent ?
– Que les usuriers sont les pharisiens de notre temps. Que le capitalisme occidental et le communisme soviétique sont comme des rabatteurs poussant le gibier vers la plaine où on pourra le tirer à loisir.
– Qui est le gibier ?
– Vous.
– Et les chasseurs ?
– Je vois que vous n’avez pas lu mon livre avec beaucoup d’attention. Je veux bien vous en rappeler les grandes lignes.
« Tout commence par le crédit, c’est-à-dire par l’usure. Ce n’est pas pour rien que l’Église du Moyen Age condamnait le prêt à intérêt. C’est lui, je sais, qui a édifié la société moderne en permettant la révolution industrielle, mais je ne suis pas certain qu’il y ait lieu d’en être fier.
Dès qu’il y eut crédit, il y a eu des banques. Tout allait encore assez bien tant que les banques n’étaient que des agences de change et de prêt. Hélas, elles ont bientôt obtenu d’émettre de la monnaie, pas en battant des pièces ou en imprimant des billets, mais en prêtant des sommes qu’en réalité elles ne possèdent pas. Ne vous faites pas d’illusions : le chèque bancaire qui constitue votre prêt est à 80% au moins sans provision. Ce n’est plus de la banque, c’est de la prestidigitation. Or les banques vont plus loin : non seulement, elles usurpent le privilège de l’État en créant de l’argent, mais cet argent inexistant, ce vent, c’est à l’État qu’elles le prêtent, s’asservissant ainsi la nation elle-même. »
(Le Montage, Julliard/L’Age d’Homme, 1982, p. 257).

Vladimir Volkoff explique ainsi ce que des hommes comme Chesterton ont passé leur vie à tenter de faire comprendre. On en retrouve une explication dans la vidéo ci-dessous :



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