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5 novembre 2011 6 05 /11 /novembre /2011 08:33


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Dans un article du Monde diplomatique paru en mai 2009, Alberto Manguel raconte les difficultés liées au travail de traduction et évoque notamment celle à laquelle il fut confrontée en voulant traduire La Trama de Borges. Il trouva une aide inattendue en la personne de… Chesterton. On trouvera l’intégralité de cet article sur le site du journal. Voici l’extrait concernant Chesterton :


En 1974, dans El Hacedor, Borges a publié un petit texte intitulé La Trama. Je veux le citer en entier :

Pour que son horreur soit totale, César, acculé contre le socle d’une statue par les poignards impatients de ses amis, aperçoit parmi les lames et les visages celui de Marcus Junius Brutus, son protégé, peut-être aussi son fils. Alors il cesse de se défendre et s’exclame : “Toi aussi, mon fils !” Shakespeare et Quevedo recueillent le cri pathétique.

Les répétitions, les variantes, les symétries plaisent au destin. Dix-neuf siècles plus tard, dans le sud de la province de Buenos Aires, un gaucho est attaqué par d’autres gauchos et, en tombant, reconnaît un de ses filleuls. Il lui dit avec un doux reproche et une lente surprise (ces paroles, il faut les entendre, non les lire) : “¡ Pero, che !” Ils le tuent, et il ne sait pas qu’il meurt pour qu’une scène se répète.

Il y a quelques années, essayant de partager avec des amis canadiens ce texte de Borges, j’ai essayé de le rendre en anglais. Plusieurs difficultés m’ont semblé insurmontables ; en particulier, ce « ¡ Pero, che ! », locution intraduisible par excellence, profondément enracinée dans le sol argentin et impossible à replanter dans n’importe quel champ linguistique. « ¡ Pero, che ! » semble être le fruit de l’identité même de l’Argentin, plainte laconique qui ne peut s’exprimer nulle part ailleurs sur la terre. On ne dit pas « ¡ Pero, che ! » en Angleterre ou aux Etats-Unis, mais pas davantage en Espagne, au Mexique ou à Cuba. « ¡ Pero, che ! » est quasiment en soi la définition du parler créole.

Fort heureusement, l’histoire de la traduction est faite d’infimes miracles. Vertu, intelligence, adresse, expérience, recherche, hasard : tous ces facteurs interviennent dans l’exécution d’une traduction réussie, mais la qualité du miracle est la seule essentielle. Dans ce champ de la création littéraire, il n’y a pas de victoire sans miracle.

Résigné à laisser ma traduction inachevée ou à terminer le court texte en utilisant un faible synonyme de l’insaisissable expression, je lisais, pour me distraire, A Short History of England, de Gilbert Keith Chesterton, œuvre que Borges connaissait fort bien, et soudain apparut la phrase suivante :

« Pendant très longtemps, on a pensé que la nation britannique fondée par Jules César avait été fondée par Brutus. Le contraste entre la très sobre découverte et la très fantastique fondation a quelque chose d’évidemment comique, comme si le “Et tu, Brute ?” latin de Jules César pouvait se traduire par “What, you here ?”.  »

Le « What, you here ? » de Chesterton est la traduction parfaite du « ¡ Pero, che ! » de Borges. Ou plutôt : le « ¡ Pero, che ! » de Borges est la traduction parfaite du « What, you here ? » de Chesterton. La traduction comme lecture-voyage dans les deux sens : de la source au texte original et du texte original à la source, la source et l’original se confondant et se redéfinissant chemin faisant. Qui est l’auteur et qui est le traducteur de l’expression ? Borges ou Chesterton ? Impossible de le savoir. Chronologie et anachronisme ne sont pas des concepts utiles pour juger d’une traduction et de ses sources.


 

Ecrivain canadien d’origine argentine, Alberto Manguel a publié en 2004 un choix d’essais de Chesterton chez Actes Sud, sous le titre Le paradoxe ambulant - 59 essais.

 

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22 octobre 2011 6 22 /10 /octobre /2011 11:26
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Pour ceux qui s'intéressent à l'actualité de la pensée économique et politique de Chesterton, signalons juste que l'on en parle beaucoup en ce moment – crise oblige – aux États-Unis et en Grande-Bretagne. On lira sur le blog français  Caelum et Terra quelques aspects de cette actualité : 

Dans un article publié le 17 octobre dernier, et signé David Gibson, le Washington Post s’attarde à l’actualité du distributisme sous le titre éloquent : « Age-old ‘distributism’ gains new traction ».

Hé oui, le vieil idéal, diffusé naguère par Chesterton et Belloc, mais aussi le Père Vincent McNabb ou Arthur Penty, s’offre un petit retour en force en raison d’une crise que les solutions libérales et socialistes peinent à résoudre. L’article de Gibson évoque l’Anglais Phillip Blond à l’occasion de son passage à New York pour une conférence à l’université de cette ville. Blond, après avoir été théologien, professeur d’université, proche du mouvement « Radical Orthodoxy » et de son mentor, John Milbank, puis conseiller de David Cameron, préside aujourd’hui le « think tank »ResPublica, une fondation politique qui entend influer sur les débats politiques en Grande-Bretagne.

 

Pour lire la suite…

 

 

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21 octobre 2011 5 21 /10 /octobre /2011 13:13

 

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Nous avons déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises : un magazine entièrement consacré à G.K. Chesterton, cela existe… aux États-Unis, avec l’excellent Gilbert Magazine.

Le dernier numéro vient de paraître. Il accorde une grande place à la « Chesterton Academy ». Il s’agit d’un lycée créé en 2008 par des parents avec l’aide de la puissante et admirable American Chesterton Society. Située à St. Louis Park dans le Minnesota, aux États-Unis, cette école accueille aujourd’hui une soixantaine d’élèves qui étudient selon un programme qui s’appuie sur une formation classique, laquelle implique notamment la découverte des grands auteurs, et sur une vision chrétienne de l’existence. La Chesterton Academy propose donc une formation qui intègre à chaque niveau le regard de la foi ou, pour le dire autrement, dans chaque classe, foi et raison se rencontrent. À côté des matières traditionnelles (anglais, mathématiques, littérature, langues, etc.), les élèves participent à des activités artistiques (peinture, théâtre, etc.) et reçoivent également une formation pour défendre leur foi et la vision catholique du monde contre la culture du mort, telle qu’elle a été définie par le Pape Jean-Paul II.

 

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Et Chesterton, dans tout cela ? Son nom a été donné à l’école, non seulement en raison des liens des fondateurs avec l’American Chesterton Society, mais aussi parce que Chesterton represente un idéal de penseur complet et de combattant culturel dans le monde moderne.

On le voit, le dernier numéro de Gilbert Magazine est centré sur l’actualité et ce d’autant plus que Richard Aleman, président de la Society for Distributism, signe un éditorial vigoureux montrant la nécessité de s’inspirer des principes de la pensée sociale et économique de Chesterton et Belloc pour répondre à la crise actuelle.

On lira aussi avec intérêt le récit du voyage du président de l’American Chesterton Society, Dale Ahlquist, en Grande-Bretagne avec sa rencontre notamment avec dom Phillip Jebb, moine bénédictin de l’abbaye de Downside et… petit-fils d’Hilaire Belloc. 

 

 

 

 

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1 octobre 2011 6 01 /10 /octobre /2011 11:54
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Philosophe hors norme, critique de gauche du libéralisme et de son pendant libertaire, Jean-Claude Michéa vient de publier un nouvel essai sur « la gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès », sous le titre Le complexe d’Orphée (éditions Climats). Il s’agit d’un essai où il revient à l’aide de dix questions sur les thèmes essentiels qui traversent son œuvre et, notamment, la place qu’occupe George Orwell et sa pensée dans l’élaboration de son propre discours. C’est une mise en mouvement intellectuel de la « common decency » d’Orwell confrontée aux questions et aux bouleversements qu’engendre le capitalisme libéral mondialisé aujourd’hui.

 

Invité à préciser ce qu’il entend par « anarchisme tory » (qualificatif qu’il utilise, derrière Orwell lui-même, pour qualifier l’auteur de 1984), Jean-Claude Michéa est amené également à nommer les prédécesseurs et les successeurs d’Orwell. Il est intéressant de noter la réponse de Michéa qui commence par définir en quoi d’éventuels prédécesseurs ou successeurs pourraient se retrouver avec la pensée d’Orwell. Ce nœud commun est selon le philosophe de Montpellier le suivant :

 

« Si l’on s’accorde sur ces quelques principes, il devient alors possible de dessiner les contours d’une “tradition anarchiste tory” qui engloberait effectivement tous ceux qui ont senti, d’une manière ou d’une autre, qu’aucune critique cohérente de la civilisation capitaliste moderne ne pouvait se fonder sur la vieille illusion progressiste selon laquelle toutes les valeurs morales et culturelles léguées par les générations antérieures devraient – au nom du “sens de l’histoire” ou de l’“évolution naturelle des mœurs” – être transgressées par principe. »


 

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À partir de ce socle commun, Jean-Claude Michéa (photo ci-dessus) énonce la liste de plusieurs prédécesseurs de George Orwell, avant de préciser :


« elle devrait inclure, avec plus de raison encore, le socialisme “médiéval” d’un William Morris ou l’anticapitalisme catholique d’un Chesterton – deux auteurs qu’Orwell cite assez peu, mais dont l’influence sur son œuvre me semble évidente (n’a-t-on pas dit de lui qu’il était un “Chesterton de gauche” ?). »


Cette longue citation montre, à sa manière, que Chesterton habite encore le débat politique quand celui-ci ne descend pas au niveau de la simple foire électorale mais qu’il aborde les questions essentielles de la critique de la société dans laquelle nous vivons. Michéa adosse sa réflexion sur celle d’Orwell qui plus qu’un « Chesterton de gauche » me semble être un « Chesterton sans la foi chrétienne » (il serait d’ailleurs pour le moins réducteur, par exemple, de définir Chesterton comme un « Orwell de droite », le problème étant alors posé par ce dernier qualificatif qui ne correspond pas à grand chose dans la vie de l’écrivain.)

Concernant Orwell et Chesterton, Jean-Claude Michéa avait déjà été amené à préciser dans un entretien accordé dans le numéro de décembre 2009 du Magazine littéraire certains liens entre les deux écrivains :

 

Orwell « confia un jour que, “ce dont avait besoin l’Angleterre, c’était de suivre le genre de politique prônée par le G.K.’s Weekly de Chesterton : une forme d’anticapitalisme et de “joyeuse Angleterre” agraire et médiévale. C’est à coup sûr dans ce cadre précis qu’il convient d’interpréter sa dernière volonté d’être inhumé selon le rite anglican. Il ne croyait évidemment pas en Dieu, mais il n’en pensait pas moins que “le véritable problème était de trouver un moyen de restaurer l’attitude religieuse, tout en considérant que la mort est définitive” »


 

Même si Orwell (photo ci-dessous) aurait écrit son ou l’un de ses premiers articles dans le G.K.’s Weekly de Chesterton, et même si la pensée des deux hommes peuvent se rejoindre en plusieurs endroits, des différences notables existent, comme nous l’avions déjà signalées (ICI et ). 


On se reportera aussi à la vision chestertonienne de l’homme ordinaire (trop) rapidement traitée (ICI, , et ).

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On me permettra pour terminer ce papier du jour de rappeler notre rendez-vous du mardi 11 octobre qui abordera un autre aspect de l'œuvre très riche de Chesterton : le centenaire du Père Brown. 

Rendez-vous donc le mardi 11 octobre à l’auditorium Saint-Matthias de l’Espace Georges Bernanos (4, rue du Havre – 75009 Paris – Métro Saint-Lazare ou Havre-Caumartin) de 19h00 à 21h30.

Grâce à l’amabilité et à la collaboration de l’Espace Bernanos l’entrée est gratuite.

 

Même si cette année, pour des raisons indépendantes de notre volonté, nous vous informons plus tardivement que les années précédentes,nous vous serions obligés de nous indiquer à l’adresse de l’association des Amis de Chesterton (amis.de.chesterton@free.fr) si vous pensez venir. Si vous préférez, vous pouvez nous laisser un mot au numéro de téléphone suivant : 01 53 68 99 72. 

 

Nous vous attendons avec impatience le mardi 11 octobre prochain !

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28 septembre 2011 3 28 /09 /septembre /2011 13:27

 

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Je viens de découvrir avec retard, sur le blogue de La Procure, la critique que Patrick Kéchichian a consacrée à la traduction française du William Blake de Chesterton. Publiée cette année, cette nouvelle traduction est signée Lionel Forestier, qui devient, petit à petit l’un des traducteurs contemporains de l’écrivain anglais. Ce petit livre, que nous avions signalé à sa parution, a paru dans la superbe petite collection « Le Cabinet des lettrés » chez Le Promeneur aux éditions Gallimard.

Qu’en dit Patrick Kéchichian ?

Je m’en voudrais de ne pas renvoyer vers le blogue de la Procure puisqu’il faut lire l’intégralité de cette critique. Mais je m’en voudrais aussi de ne pas en citer un court extrait, car, à propos de ce livre, Patrick Kéchichian dit quand même excellemment le principal. Comme lui, j’ai été frappé par le procédé biographique de Chesterton, qui n’est justement pas un procédé comme le souligne Kékichian, mais l’effet d’une immersion constante dans le surnaturel. Pour avoir écrit des biographies, j’imagine la tête de mon éditeur si j’avais débuté à l’instar de Chesterton l’une d’elles par « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ». Et, pourtant, tout part effectivement de là. Mais n’est pas Chesterton qui veut et refaire ce qu’il a déjà fait serait la pire des trahisons.

Plutôt que de se lancer dans ce genre de mauvaise aventure, il reste préférable de lire l’écrivain Kéchichian sur l’écrivain Chesterton. L’essentiel est dit et de la meilleure façon :

 

 

« Il n’est pas donné tous les jours de lire une telle biographie. Quel bonheur d’échapper aux contraintes que s’imposent et nous imposent ordinairement les biographes ! Enfance, premières dents, amours juvéniles, adolescence difficile, montée en puissance, carrière, chute… Dès l’incipit de ce livre publié en 1910, le ton est donné, qui emporte l’adhésion, suscite la jubilation : « William Blake aurait été le premier à comprendre qu’une biographie, n’importe quelle biographie, devrait commencer par ces mots : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. ». » Chesterton, malgré les apparences, ne s’amuse pas ici à mimer le grandiose, le surnaturel, il y réside, il y respire, c’est son élément naturel. Et, miracle, pas besoin d’être un surhomme pour cela, mais simplement un honnête chrétien. Un chrétien ordinaire. Pour ce chrétien-là, dont Chesterton est la quintessence, le modèle et l’exemple, raconter une vie, c’est raconter sa légende. Et si cette légende est « dorée », c’est mieux encore – pourvu qu’elle demeure naturelle. Ce naturel détaché, d’après les pointillés, du surnaturel. »

 

Pour lire la suite, c'est ICI.

 

Au terme de cette présentation, on ne m'en voudra pas de rappeler notre rendez-vous du mardi 11 octobre prochain à l'Espace Bernanos. Pour bien organiser cette Table-Ronde, nous avons besoin de savoir si vous comptez venir ou non. Il suffit seulement de nous le dire par courrier électronique, non pas comme un engagement définitif, mais simplement pour que nous puissions évaluer le nombre de participants et nous organiser en conséquence. 

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20 septembre 2011 2 20 /09 /septembre /2011 16:55

 

 

Le Poéte et les fous 

 

 

 

Publié en 1929, le roman de Chesterton, The Poet and the Lunatics a connu une première traduction française par Jeanne Fournier-Pargoire publiée par Gallimard en 1933. Cette traduction sera rééditée à plusieurs reprises, notamment en 1975 et 1982.

Une nouvelle traduction, totalement inédite, vient de paraître aux éditions de L’Arbre vengeur, déjà éditeur du Jardin enfumé (paru en 2007), un petit ensemble de nouvelles signées Chesterton.

Cette fois-ci, il s’agit d’un roman qui met en scène l’un des personnages les plus fascinants de l’univers chestertonien : Gabriel Gale, un jeune artiste peintre qui renverse la logique commune ou entendue du monde pour retrouver le sens profond de l’ordre de l’univers.

Cette nouvelle traduction est signée Catherine Delavallade qui n’en est pas à son coup d’essai puisqu’elle a déjà traduit, par exemple, Dickens (l’un des auteurs préférés de Chesterton) pour les mêmes éditions.

Nous venons de recevoir ce nouveau Chesterton et nous reviendrons sur ce livre et sa traduction prochainement après l’avoir lu attentivement. Dans cette nouvelle édition, il s’intitule Le Poète et les fous. D’un format de poche, il comprend 300 pages pour un prix de 15€. 

En attendant, voici la présentation de l'éditeur sur son site (à visiter) : 

 

Après avoir enfumé le jardin de l’Arbre vengeur il y a quelques années, Chesterton revient planter quelques uns de ses plus beaux excentriques dans notre catalogue qui n’en manque pas grâce à la nouvelle traduction de ce qui nous semble l’un de ses beaux livres : Le poète et les fous. Revisité par Catherine Delavallade qui avait traduit pour nous des textes inédits de Charles Dickens, ce roman qui enchasse une suite d’aventures du dénommé Gabriel Gale, enquêteur-rêveur à la poursuite de l’amour et de la vérité que recèle chaque folie, renaîtra le 15 septembre sous une couverture signée Laurent Bourlaud.

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9 septembre 2011 5 09 /09 /septembre /2011 16:43

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Le journaliste et essayiste Gérard Leclerc vient de publier un recueil de ses chroniques à Radio Notre-Dame sous le titre : Abécédaire du temps présent, chroniques de la modernité ambiante.

Nous avions le souvenir qu’il en avait consacré une à G.K. Chesterton lors de la première table-ronde que nous avions organisée au Collège des Bernardins. C’est donc avec une certaine curiosité que nous avons voulu vérifier si Gérard Leclerc avait conservé cette chronique dans son abécédaire.

Banco ! Chesterton est bien présent et la lecture de cette chronique que nous avions entendue nous a montré combien Gérard Leclerc, qui ne se « revendique que d’être un lecteur de base de Chesterton, tout à fait naïf », était allé au cœur d’une dimension essentielle de l’écrivain anglais. Voici, en effet, ce qu’il écrit :

 

Chesterton nous ouvre à une dimension inédite de la pensée, de l’art et de la littérature qui est celle de l’humour. L’humour associé au fantastique, parce que l’humour ne serait jamais apparu à la surface de la terre s’il n’avait eu cette mission révélatrice de faire émerger ce qu’il y a d’étonnant, d’incroyablement lumineux ici-bas. Grâce au ciel, nous avons l’incomparable Chesterton pour nous tirer de notre sérieux funèbre et accéder à ce que nous sommes profondément qui ne peut être saisi que dans le sourire illuminant la Création.

 

On ne saurait mieux dire…

 

Il faut évidemment lire le reste de cette chronique ainsi que les autres qui sont rassemblées, au rythme de l’alphabet, dans ce livre. Leclerc, chroniqueur profondément honnête, cultivé et ouvert, a le talent de provoquer notre intelligence, même quand nous ne partageons pas toutes ses analyses.

bayard

 

Sur Chesterton, Gérard Leclerc nous apprend aussi autre chose :

« C’est enfant que je lus la première fois l’écrivain, dans les colonnes d’un journal pour enfant qui s’appelait Bayard (…). Les aventures du père Brown, détective du bon Dieu, s’adressaient à nous, public enfantin, qui les lisions avec passion. »

 

En cette année où nous allons consacrer notre table-ronde annuelle au centenaire du Father Brown (au centre Bernanos) ce détail historique sur la publication des histoires du prêtre-détective dans Bayard est un renseignement utile. Et nous donnes l’occasion de lancer un appel : qui pourrait nous en dire plus ? 

 


 

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6 septembre 2011 2 06 /09 /septembre /2011 06:06

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Fâché avec les dates, évitant au maximum les sources et les archives, Chesterton n’aurait certainement pas fait un bon « chartiste ». Mais ainsi vont les choses. En mai dernier, il s’est retrouvé convoqué pour l’épreuve de version anglaise au concours d’entrée de l’École nationale des Chartes, en section A. Notre gros bonhomme d’écrivain devait plancher entre 13h00 et 16h00. À traduire, ce jour-là, en effet, un extrait des Father Brown Stories – et sans dictionnaire !

L’extrait proposé est le début d’une histoire intitulée : « The Queer Feet ». Elle se trouve dans le premier volume publié des histoires du father Brown : The Innocence of Father Brown. Voici l’extrait en question :

 

If you meet a member of that select club, "The Twelve True Fishermen," entering the Vernon Hotel for the annual club dinner, you will observe, as he takes off his overcoat, that his evening coat is green and not black. If (supposing that you have the star-defying audacity to address such a being) you ask him why, he will probably answer that he does it to avoid being mistaken for a waiter.  You will then retire crushed.  But you will leave behind you a mystery as yet unsolved and a tale worth telling.

 

If (to pursue the same vein of improbable conjecture) you were to meet a mild, hard-working little priest, named Father Brown, and were to ask him what he thought was the most singular luck of his life, he would probably reply that upon the whole his best stroke was at the Vernon Hotel, where he had averted a crime and, perhaps, saved a soul, merely by listening to a few footsteps in a passage. He is perhaps a little proud of this wild and wonderful guess of his, and it is possible that he might refer to it. But since it is immeasurably unlikely that you will ever rise high enough in the social world to find "The Twelve True Fishermen," or that you will ever sink low enough among slums and criminals to find Father Brown, I fear you will never hear the story at all unless you hear it from me.  The Vernon Hotel at which The Twelve True Fishermen held their annual dinners was an institution such as can only exist in an oligarchical society which has almost gone mad on good manners. It was that topsy-turvy product--an "exclusive" commercial enterprise. That is, it was a thing which paid not by attracting people, but actually by turning people away.  In the heart of a plutocracy tradesmen become cunning enough to be more fastidious than their customers. They positively create difficulties so that their wealthy and weary clients may spend money and diplomacy in overcoming them.

 

 

N’étant pas élève à l’École des Chartes, je me garderai bien de proposer une traduction personnelle de ce passage. Voici donc celle d’Émile Cammaerts que l’on trouve dans le recueil La Clairvoyance du Père Brown ainsi que dans le récent volume Omnibus : Les Enquêtes du Père Brown :

 

 

Les pas étranges

 

Si vous rencontrez un jour un membre du club des « Douze Vrais Pêcheurs », entrant au Vernon Hotel pour assister au dîner annuel de cette assemblée select, vous remarquerez, lorsqu'il enlèvera son pardessus, qu'il porte un habit vert. A supposer que vous ayez la stupéfiante audace d'adresser la parole à ce demi‑dieu, et que vous lui demandiez pourquoi il a adopté cette couleur, il vous répondra probablement que c'est afin de ne pas être pris pour un garçon de café. Vous vous retirerez confus. Mais vous passerez à côté d'un mystère digne d'être éclairci et d'une histoire digne d'être contée.

 

Si (pour ne pas quitter cette veine d'invraisemblables conjectures) vous deviez rencontrer un jour un doux petit prêtre, plein de zèle, répondant au nom de Père Brown, et si vous lui demandiez ce qu'il considère comme le plus heureux hasard de sa vie, il vous répondrait, sans doute, que la chance ne lui fut jamais aussi propice qu'un certain jour, au Vernon Hotel, où il put prévenir un crime et sauver une âme rien qu'en guettant un bruit de pas dans un corridor. Peut‑être s'enorgueillira‑t‑il quelque peu de la merveilleuse et invraisemblable divination dont il fit preuve à cette occasion, et peut‑être vous en donnera‑t‑il l'explication. Mais, comme il est peu probable que vous vous éleviez jamais assez haut dans l'échelle sociale pour découvrir le club des « Douze Vrais Pêcheurs », ou que vous descendiez assez bas, parmi les ruelles peuplées de criminels, pour rencontrer le Père Brown, il est à craindre que vous n'entendiez jamais conter cette histoire, à moins que vous ne me permettiez de le faire à présent.

 

L'hôtel Vernon, où les « Douze Vrais Pêcheurs » célébraient leur dîner annuel, était une de ces institutions qui ne peuvent exister que dans une société oligarchique affolée d'élégance. Elle en était même un curieux produit ‑ une sorte d'entreprise « fermée ». Autrement dit, une entreprise devenue fructueuse non pas en attirant le public, mais en l'écartant. Au sein d'une ploutocratie, les commerçants sont assez malins pour se montrer plus délicats que leurs consommateurs euxmêmes. Ils s'ingénient à créer des difficultés que leur clientèle riche et blasée ne peut surmonter qu'à force d'argent et de diplomatie.

 

 

 

Il semble que dans l'ensemble les étudiants ont obtenu des résultats honorables. Espérons qu'ils auront trouvé un peu l'envie d'aller plus loin et de lire le reste de (des) histoire(s).  Un grand merci en tous les cas à F.G.

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13 juin 2011 1 13 /06 /juin /2011 10:40

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Le volume 36 des Collected Works of Chesterton vient de paraître chez Ignatius Press. Il est consacré aux articles de Chesterton publiés dans The Illustrated London News pendant les années 1932-1934.

Il regroupe au total cent-cinquante sept articles, allant du 2 janvier 1932 jusqu’au 29 décembre 1934. À son habitude, Chesterton aborde aussi bien l’actualité politique (notamment la montée du nazisme) que des questions de littérature ou propose des réflexions sur les travers de l’époque. Pour bien saisir la variété des thèmes abordés, le mieux est certainement de reproduire la riche table des matières : 

 

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Le parcours de l’index des noms en fin de volume démontre s’il en était besoin l’extraordinaire culture de cet homme, capable aussi bien de faire référence à des écrivains de son pays qu’à des auteurs ou des journalistes français, (Chateaubriand, Alphonse Bertillon, Bossuet, Hugo par exemple) ou à des hommes politiques, des militaires ou des philosophes. En voici juste deux aperçus : 

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D’un article à l’autre, Chesterton semble se promener aussi à l’aise dans l’histoire que dans son époque, devisant aussi tranquillement avec saint Thomas d’Aquin qu’avec Ghandi. Il est évidemment impossible de donner ne serait-ce qu’un bref aperçu de l’ensemble des articles rassemblés dans ce volume. En revanche, on peut prendre le parti de lire certains articles réunis par un même thème.

Historiquement, il est ainsi intéressant de plonger dans les articles consacrés à Hitler, au moment même où son mouvement émerge en Allemagne et où il va accéder au pouvoir. Loin de la caricature faisant de Chesterton un fourrier du nazisme, vision ultra-simpliste affectée par certains milieux, on le voit dénoncer la folie nazie en faisant ressortir les contradictions de ce nationalisme qui ne trouve, par exemple, d’autres insignes qu’un symbole bouddhiste. Il voit très clairement dans le nazisme un paganisme qui vise à détroner le christianisme pour le remplacer par la force de Thor ou d'Odin. Et il réaffirme qu’il n’est pas antisémite contrairement à « Herr Hitler ». Sa critique du nazisme allemand se situe dans la droite ligne des positions qu'il avait adoptées pendant la Première Guerre mondiale en dénonçant la « Barbarie de Berlin » (et ICI et ). Elle est amplifiée ici parce qu'à ses yeux le nazisme ne reprend pas seulement les vieux démons allemands, mais y associe une philosophie orientale que symbolise selon lui la swastika. Cette croix gammée, qui tourne sur elle-même, dans un mouvement circulaire, rappelle ce que Chesterton écrivait dès 1908 dans Orthodoxie

« De même que nous avons choisi le cercle pour symboliser la raison et la folie, de même nous pouvons choisir la croix pour symboliser simultanément le mystère et la santé. Le bouddhisme est centripète, le christianisme est centrifuge : il éclate. Car le cercle est parfait et infini de par sa nature ; cependant il est à jamais limité par sa dimension ; il ne peut être ni plus grand ni plus petit. La croix présente en son centre une collision et une contradiction, mais elle peut étendre à l’infini ses quatre bras sans que jamais sa forme s’en trouve altérée. C’est parce qu’elle présente cette contradiction en son centre qu’elle peut grandir sans changer de caractère. Le cercle se referme sur lui-même. Il est limité. La croix ouvre ses bras aux quatre vents, signal de route aux voyageurs libres. ».

Malgré ses succès, le nazisme contient cette part de folie qui se referme sur elle-même comme le pressent Chesterton sans imaginer que cette folie ira jusqu'aux camps de concentration. À l'égard des Juifs, il convient de rappeler sa position paradoxale que l'on retrouve dans plusieurs articles contenus dans ce nouveau volume. Si, comme nombre de ses contemporains, il identifie la présence de certains Juifs dans le monde des affaires et de la politique à une présence globale du judaïsme dans la société anglaise, il défend, en revanche, la position sioniste qui sera adoptée après guerre avec la création de l'État d'Israël et qu'il a déjà exprimé dans La Nouvelle Jérusalem (et ICI et ). 

 Avec plus de 600 pages, le volume 36 des des Collected Works of Chesterton se révèle à la fois comme volume très riche, composé uniquement d’inédits pour le public français, mais aussi comme une source documentaire pour saisir la position chestertonienne face aux événements d'une période particulièrement troublée.  

L'éditeur propose ce volume 36 en trois versions : 

– Une version cartonnée;

– Une version reliée;

– Une version électronique pour prc – kindle epub - nook, ipad.

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11 juin 2011 6 11 /06 /juin /2011 11:08

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Le 14 octobre 1905, Chesterton commence sa collaboration à The Illustrated London News, un magazine anglais destiné au grand public (voir ICI, ). Sous le titre « Serious Things in Holiday Time London », ce premier article évoque notamment la poésie de Londres et son état de « ruine sacrée ». Jusqu’à sa mort en 1936, Chesterton va collaborer à cette publication par le biais d’une chronique hebdomadaire, « Our Notebook » d’environ 2000 mots. Mise à part deux voyages à l’étranger en 1920 et 1921 et une longue maladie entre 1914 et 1915, il sera fidèle à ce rendez-vous hebdomadaire. Pendant trente et un ans, il occupera 1535 colonnes de The Illustrated London News. Décédé le 14 juin 1936, le numéro du 20 juin, tout en rendant hommage à son éminent collaborateur, republie sa première chronique à côté de sa dernière contribution.

La collaboration de G.K. Chesterton à The Illustrated London News montre combien Chesterton fut un chroniqueur de son temps et de son époque. C’est un élément essentiel de son talent et de son œuvre, sur lequel il faut se pencher pour bien saisir la multiplicité des dons dont était pourvu Chesterton. D’autant que parallèlement à cette collaboration, Chesterton écrivit régulièrement pour d’autres journaux comme The Bookman, le Clairion, le Speaker, le Daily News, Eyes Witness, New Witness et le G.K.’s Weekly sans compter les innombrables collaborations épisodiques pour telle ou telle revue. Toujours dans la période où il écrivit pour The Illustrated London News, Chesterton composa la plus grande partie de ses livres. Outre les cinq volumes des histoires du Father Brown, il écrivit des romans comme Le nommé Jeudi, L’Auberge volante, La Sphère et la Croix, des études littéraires comme ses livres sur Charles Dickens, George Bernard Shaw ou Le Siècle de Victoria en littérature, sans parler d’essais comme Orthodoxie, L’Homme éternel, Saint François d’Assise et Saint Thomas d’Aquin, et bien d’autres encore.

 

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C’est pour aider à mieux connaître cette partie du talent de Chesterton que les éditions catholiques américaines, Ignatius Press (éditeur par ailleurs des livres de Benoît XVI) ont décidé de publier en recueil l’intégralité des articles de l’écrivain parus dans The Illustrated London. Cette publication s’insère dans le projet plus global de l’édition des œuvres complètes de Chesterton, une aventure éditoriale qui a débuté en 1986 et qui n’est pas encore achevée en cette année 2011. Au total, trente-six volumes sont prévus dont vingt-neuf sont actuellement disponibles.

Parmi ces derniers, neuf volumes sont consacrés uniquement aux articles parus dans The Illustrated London. Le principe est à chaque fois le même. Chaque volume rassemble trois années entières des articles de Chesterton, accompagnés de notes explicatives et d’un important et très utile index des noms et comporte environ 600 pages, sans illustration. Le premier volume de cette série (le volume 27 des œuvres complètes) comporte en outre les remerciements à tous ceux qui ont permis ce travail (très souvent des universitaires), une introduction générale des éditeurs et une introduction historique de Lawrence J. Clipper.

Pour les chercheurs et les passionnés de Chesterton, il s’agit là d’un outil de travail unique qui permet notamment de suivre Chesterton dans la variété des thèmes abordés et dans la continuité éventuelle des sujets traités. Sa pensée est ainsi mieux saisie et ne répond plus aux seuls caprices d’un écrivain au génie foisonnant. Loin d’écrire au hasard, mené par sa seule fantaisie ou ses humeurs, voire les deux, Chesterton développe bien dans ces articles une pensée en s’ingéniant à suivre une actualité à la fois matrice et prétexte à transmettre sa propre philosophie de l’existence. Très souvent, l’article est déconcertant. Son titre semble mener le lecteur à un endroit bien précis et un chemin de traverse s’impose tout d’un coup, conduisant à une chute inattendue ou surprenante. Évidemment, il s’agit d’un trait général. Certains articles sont attendus et ceux de la période de la Première Guerre mondiale, par exemple, sont certainement moins surprenants que les autres (volume 30). Mais dans l’ensemble Chesterton est bien fidèle à lui-même et ces volumes renferment ainsi de véritables pépites qui n’avaient jamais été rassemblées jusqu’ici.

 

Pourquoi en parler aujourd’hui ? Tout simplement parce que le volume 36 consacré aux années 1932-1934 vient de paraître et qu’il mérite toute notre attention. 

 

Pour se procurer ces volumes, il faut se rendre sur le site de l'éditeur, Ignatius Press

 

À suivre…

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