Comme nous l’avons souligné en présentant le livre Irish Impressions(ICI et LÀ), G.K. Chesterton s’est rendu pour la première fois en Irlande en 1918 afin d’y recruter des volontaires irlandais pour aller combattre sur le front contre l'Allemagne.
Or, hasard et paradoxe des influences, il semble que l’écrivain anglais ait influencé un authentique républicain irlandais, et même l’un des plus ardents, en la personne de Michael Collins.
Qui est Michael Collins, rendu célèbre chez nous par le film éponyme du cinéaste Neil Jordan ?
Né le 16 octobre 1890 dans le comté de Cork, fils d’un petit fermier, Michael Collins est une figure centrale du nationalisme irlandais. Membre de la Gael League et de la Gaelic Athletic Assocation (GAA), il adhère à l’âge de 19 ans, à l’Irish Republican Brotherhood (IRB), puis devient membre en 1914 des Irish volunteers. Le 15 janvier 1916, il quitte Londres et retourne en Irlande. Tout naturellement, il participe au soulèvement de Pâques, en tant qu’aide de camp de Joseph Plunkett. Arrêté, il est interné au camp de Frongoch au Pays-de-Galles. Il est libéré en décembre 1916, lors de la première vague d’amnistie. Il devient dès lors une figure montante du Sinn Fein et des Irish Volunteers tout en réorganisant l’IRB. Quand le premier Dáil Eireann est élu, en janvier 1919, Michael Collins est nommé ministre de l’Intérieur et ministre des Finances ainsi que président de l’IRB. Concrètement, il est surtout le commandant en chef de l’Irish Republican Army (IRA) dont il réorganise le service de renseignements. Il a tiré les enseignements de l’échec de Pâques 1916. À la confrontation frontale, il oppose la guérilla, fondée sur le renseignement et sur le démantèlement des réseaux d’espionnage adverses. Il lève aussi un emprunt national et infiltre jusqu’à l’administration britannique. Les Britanniques mettent sa tête à prix. Pourtant, envoyé par De Valera négocier avec les Britanniques, il signe le Traite de 1921 qui sanctionne la partition de l’île et maintient l’Irlande sous l’autorité britannique. Sa vie bascule. Pour ses anciens amis, il devient un traître. Devenu Commandant de la Free State army, Collins combat ses anciens compagnons. Le 22 août 1922, alors qu’il se rend dans son comté natal, son convoi est pris en embuscade. Michael Collins meurt d’une balle à la tête.
Selon l’un de ses biographes, James Mackey, auteur de Michael Collins : A life (1997), Collins aurait discuté de Chesterton en 1921 avec Sir William Darling, représentant du gouvernement britannique. Les deux hommes auraient découvert leur intérêt commun pour Chesterton. À cette occasion, Michael Collins aurait déclaré que son livre préféré était Le Napoléon de Notting hill, qui met en scène la révolte d’un quartier de Londres pour obtenir son indépendance et comment ce quartier se réapproprie son âme car une nation ne peut vivre réellement sans ses racines religieuses …
James Mackey souligne également que Joseph Plunkett, dont Collins était l’aide de camp pendant le soulèvement de Pâques 1916, lui prêta un autre livre de Chesterton : Un Nommé Jeudi. Une phrase de ce roman aurait particulièrement marqué le futur chef de l’IRA. Dans Un Nommé Jeudi, Dimanche, le chef des anarchistes, conseille de se cacher en ne se cachant pas du tout (« il a résolu de nous cacher en ne nous cachant pas du tout » selon la traduction de Jean Florence, Gallimard, P. 83 de l’édition de 2002 dans la collection L’Imaginaire). L’idée est d’apparaître visiblement pour ne pas laisser supposer des activités clandestines bien réelles et donc apparaître comme inoffensif. Cette idée sera exactement reprise par Michael Collins dans l’organisation de l’IRA et du Squad.
Mais il y a un autre aspect qui relie Michael Collins et Chesterton. Dans son livre The Path of Freedom, Collins développera l’idée que l’industrie de la nouvelle Irlande pour laquelle il se battait devait exclure les monopoles et favorisait une organisation fondée sur la coopération et le mutualisme plutôt que de s’inspirer de l’organisation capitaliste fondée sur des sociétés en action. Ainsi, il comptait éviter le socialisme d’État, contraire selon lui aux besoins de l’Irlande, et qui n’était qu’un monopole d’un autre nom. Un discours, on en conviendra, qui cadre parfaitement avec le distributisme de Chesterton.
Pour terminer, voici quelques images d'archives sur Michael Collins :